Comment les organismes vivants se sont adaptés aux variations de températures au cours de l’évolution
La machinerie cellulaire d’un organisme vivant, en particulier ses protéines, ne peut correctement fonctionner que sur une gamme de température restreinte. Ainsi, à des températures trop différentes de la température de 37°C, les protéines humaines ne sont plus efficaces, ce qui conduit à la mort des cellules. Dans une étude qui a fait la couverture du journal Chemistry – A European Journal, des chercheurs du LBT (CNRS) et du PASTEUR (CNRS/ENS Paris/PSL Université/Sorbonne Université) ont étudié le fonctionnement d’une famille d’enzymes (les protéines catalyseurs de réactions chimiques) à des températures extrêmes. Ils ont ainsi montré qu’au-delà de leur stabilité, une autre variable d’ajustement est essentielle : l’énergie d’activation de la réaction chimique catalysée.
Les protéines assurent l’essentiel des fonctions cellulaires. On parle d’homologues pour désigner différentes variantes d’une même protéine qui assurent une fonction donnée au sein d’organismes différents. Sur Terre, certains organismes dits psychrophiles parviennent à survivre en-dessous de 0°C, alors que ceux dit thermophiles s’épanouissent, dans certains cas, à des températures supérieures à 100ºC. Les organismes intermédiaires entre psychro- et thermophiles sont quant à eux appelés mésophiles. Sachant qu’une protéine (et donc une enzyme) donnée n’est efficace que sur une gamme très restreinte de température, comment a-t-on pu obtenir, au cours de l’évolution de la vie sur notre planète, tout un ensemble d’homologues fonctionnels sur une telle gamme de température? C’est ce que des chercheurs du laboratoire LBT (CNRS) et du PASTEUR (CNRS/ENS Paris/PSL Université/Sorbonne Université) ont étudié en utilisant une approche basée sur la théorie et les simulations multi-échelles (description quantique de la réaction chimique et description classique des autres mouvements atomiques), en complément d’observations expérimentales existantes, pour deux enzymes homologues, l’une mésophile, et l’autre thermophile.
Grâce à cette étude, ils ont pu démontrer que, de façon surprenante, davantage de stabilité ne suffit pas à garantir une activité optimale. Ils ont pu observer qu’une autre variable d’ajustement essentielle, dans le cas des enzymes, est l’énergie d’activation de la réaction chimique catalysée. C’est une grandeur bien connue des chimistes, qui traduit la dépendance en température de la vitesse de réaction. Souvent confondue avec la barrière de réaction, les scientifiques ont souligné que, dans certains cas, l’énergie d’activation pouvait être très différente de la barrière de réaction, à cause de changements de structure locaux dans l’enzyme à mesure que la température augmente. Une conséquence inattendue est que de grandes variations d’énergie d’activation au sein d’un ensemble d’enzymes homologues peuvent conduire à des températures de fonctionnement optimal éloignées des températures de stabilité maximale de ces enzymes. Ces concepts et conclusions, obtenus sur une paire d’enzymes en particulier, pourraient être généralisables à d’autres enzymes et apportent un nouvel élément de compréhension à l’extraordinaire adaptabilité du vivant sur notre planète. Au-delà de l’éclairage apporté, ces résultats pourraient guider la mise au point de nouveaux biocatalyseurs aux propriétés thermiques contrôlées.
Référence
Thermal adaptation of enzymes: Impacts of conformational shifts on catalytic activation energy and optimum temperature, I. Maffucci, D. Laage, F. Sterpone et G. Stirnemann, Chemistry – A European Journal, 26, 10045-10056
https://chemistry-europe.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1002/chem.202001973
Étude complémentaire :
Differences in thermal structural changes and melting between mesophilic and thermophilic dihydrofolate reductase enzymes, I. Maffucci, D. Laage, G. Stirnemann et F. Sterpone, Physical Chemistry Chemical Physics, 22, 18361-18373 (2020)
https://pubs.rsc.org/en/content/articlelanding/2020/cp/d0cp02738c#fn1