© IUT de Nancy

Damien CornuEnseignant-chercheur au Laboratoire de chimie physique et microbiologie pour les matériaux et l'environnement (CNRS/Université de Lorraine)

Emergence@INC

Avec son projet EELS, Damien Cornu, enseignant-chercheur au Laboratoire de chimie physique et microbiologie pour les matériaux et l'environnement, est un des lauréats de l’appel à projet Emergence@INC2025. Par cet appel, CNRS Chimie accompagne des chargés de recherche ou maîtres de conférence recrutés depuis 4 à 10 ans en finançant un projet novateur et en encourageant la prise de risque.

Votre projet EELS vise à réaliser des matériaux lamellaires à base de fer ou de manganèse pour les rendre plus résilientes lors de leurs utilisations pour diverses applications, en particulier la production d’hydrogène et la dépollution. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Le matériau double hydroxyde lamellaire à base de fer1 , appelé rouille verte, est connu depuis des décennies pour son intérêt dans de nombreuses applications : élimination de solvants chlorés nuisibles ou de nitrates par réactions chimiques, piégeage des phosphates, utilisation dans la production d’hydrogène. Néanmoins, ce matériau reste peu utilisé car sa structure est relativement instable. Sa couleur verte disparait rapidement sous l’effet de l’oxydation, signe que l’on produit rapidement de la rouille « classique ». On rencontre le même problème de stabilité pour les matériaux analogues à base de manganèse qui sont encore moins stables, et donc moins étudiés. 

D’où ce projet EELS qui vise à trouver un moyen de stabiliser la structure de ces matériaux pour rendre possible les applications comme par exemple la dégradation de molécules toxiques ou néfastes pour l'environnement, et à leur permettre de vieillir lors de leur utilisation sans rapidement rouiller. 

En quoi cette recherche est-elle émergente et à risque ? 

Les chimistes aiment travailler avec des matériaux « frais » où la structure et la composition sont parfaitement définies. Le lien entre structure et réactivité est dans ce cas facile à faire. Le plus souvent, le matériau va évoluer avec le temps et surtout au cours de son utilisation. Des synergies complexes entre la réactivité et la décomposition du matériau vont émerger, le plus souvent négligées dans les travaux scientifiques publiés sur ces systèmes. Comprendre cette synergie est pourtant une étape clé pour envisager le développement d’applications industrielles. Si la décomposition est rapide et que le matériau n’est actif que très peu de temps, il devra en effet être remplacé en permanence, occasionnant un impact financier et environnemental important. 

D’où l’idée de ne pas se limiter à chercher à obtenir le matériau le plus performant. Il faut également chercher à comprendre ce qui se passe après une semaine, un mois, un an d’utilisation. Quelle partie du matériau est dissoute ? Quelle partie est oxydée ? Et comment ces modifications ont impacté sa réactivité et ses performances ?

Quelles pourraient-en être les principales retombées ?

Dans le domaine de la dépollution, un procédé pilote utilisant de la rouille verte a par exemple été mis en place au Danemark pour capter les excès de phosphate relargués lors de la remise en eau de terres agricoles pour former des marécages. En effet, les marécages sont efficaces pour séquestrer le CO2 mais le phosphate libéré par les terres agricoles remises en eau produit un effet d’eutrophisation2  néfaste. Le procédé repose sur l’affinité du phosphate pour la rouille verte. Plus celle-ci sera stable dans le temps, meilleure sera la viabilité économique du procédé.

L’eutrophisation peut également être imputée à la présence de nitrates. L'analogue de la rouille verte à base de manganèse pourrait permettre de les transformer en diazote inoffensif relâché dans l'air. La rouille verte mais également son analogue à base de manganèse pourrait permettre, en les absorbant, de s’affranchir de la production d’ammonium. Les rouilles vertes pourraient lutter efficacement contre les pollutions liées aux algues vertes ! Et toutes ces applications ne pourront être déployées que lorsque nous aurons une meilleure connaissance de la manière dont la rouille verte se dégrade lors de son utilisation pour pouvoir améliorer sa stabilisation. 

Cette thématique a vu son ampleur augmentée notamment grâce à un précédent financement de CNRS Chimie, dans le cadre du dispositif Emergence International@INC qui m’a permis de nouer des collaborations avec mes collègues au Danemark et en Allemagne. Ce nouveau projet va permettre de renforcer les recherches déjà engagées dans ce cadre.

Rédacteur : CCdM

  • 1Ce type de matériau est formé par des couches chargées positivement de cations métalliques entourés d hydroxyles (OH).
  • 2L eutrophisation est un phénomène écologique qui se produit lorsque des écosystèmes aquatiques (comme des lacs, des rivières ou des zones côtières) reçoivent un excès de nutriments, principalement des nitrates et des phosphates, ce qui entraîne une prolifération excessive d algues et de plantes aquatiques.