Antoine SimonneauChercheur au Laboratoire de chimie de coordination (CNRS)
Avec son projet HydrA, Antoine Simonneau, chercheur au Laboratoire de chimie de coordination, est un des lauréats de l’appel à projet Emergence@INC2025. Par cet appel, CNRS Chimie accompagne des chargés de recherche ou maîtres de conférence recrutés depuis 4 à 10 ans en finançant un projet novateur et en encourageant la prise de risque.
Votre projet HydrA vise à remplacer les catalyseurs d’hydrogénation asymétrique à base de métaux précieux par du molybdène, abondant et d’impact environnemental modéré. Une réaction cruciale pour la fabrication de composés pharmaceutiques ou agrochimiques chiraux. Pouvez-vous nous en dire plus ?
L’hydrogénation asymétrique est une technique clé pour fabriquer des molécules chirales, des composés dont les deux versions (images l’une de l’autre au travers d’un miroir, appelés énantiomères) peuvent avoir des effets très différents sur les organismes vivants. En chimie pharmaceutique et agrochimique, produire uniquement l’énantiomère « utile » est crucial pour maximiser l’efficacité et/ou réduire des effets secondaires. Pour ce faire, les chimistes ont mis au point des méthodes permettant d’obtenir sélectivement l’un ou l’autre, regroupées sous le terme générique de « synthèse asymétrique », et reposant bien souvent sur des catalyseurs à base de métaux précieux comme le rhodium ou le palladium pour guider la réaction. Cependant, ces métaux sont rares, coûteux, et leur extraction est polluante. Remplacer ces métaux par des alternatives plus abondantes comme le molybdène, est un enjeu majeur. Cela permettrait de rendre les procédés de catalyse asymétrique plus durables, d’en réduire les coûts et de minimiser leur impact environnemental.
En quoi cette recherche est-elle émergente et à risque ?
Dans l’équipe, nous travaillons avec le molybdène depuis presque 10 ans mais dans un autre contexte : celui de la transformation du diazote. Nous avons fortuitement découvert de nouvelles molécules à base de molybdène et d’hydrogène lors d’essais visant à combiner ces éléments avec le diazote dans l’optique de faire de l’ammoniac. Ces molécules, des « pentahydrures de molybdène », se sont révélées actives pour la catalyse d’hydrogénation de molécules organiques. Le point important est que la structure de ces catalyseurs permet d’envisager assez facilement leur modification en vue d’en produire des versions chirales, c’est-à-dire pouvant potentiellement réaliser l’hydrogénation en version asymétrique. En chimie du molybdène, c’est pour l’instant inédit si l’on exclut un exemple récent de portée très limitée. Cependant, la route est encore longue et ce projet Émergence nous permettra dans un premier temps de répondre à des questions essentielles : les versions chirales de nos catalyseurs sont-elles facilement accessibles ? Seront-elles stables dans le contexte des réactions visées ? Serons-nous capables d’atteindre des sélectivités répondant aux standards de l’industrie pharmaceutique ?
Quelles pourraient-en être les principales retombées ?
Par des contacts que j’ai pu nouer avec des chimistes évoluant dans le secteur privé, on constate un engouement certain à essayer de remplacer les catalyseurs à base de métaux précieux par des ions métalliques plus abondants, moins onéreux et plus éco-compatibles. Le problème de l’approvisionnement souverain se pose également — il faut savoir que l’Europe importe la totalité des métaux précieux qu’elle consomme. Si nous relevons le défi « académique » de prouver que les métaux abondants peuvent être aussi performants que les métaux précieux pour ce type d’application, nous pourrons alors envisager de valoriser cette découverte par un brevet et de nouer des partenariats avec des industriels intéressés par nos travaux. Si tout cela se concrétise, cela représenterait une belle histoire de passage de science fondamentale jusqu’à l’application. Tout ce que nous, chercheurs, nous évertuons à réaliser dans nos laboratoires !
Rédacteur : CCdM