Des moteurs moléculaires artificiels pour expliquer le fonctionnement du vivant
Dans le micro-monde des cellules, les moteurs biologiques assurent un grand nombre de tâches comme la contraction musculaire. Mais comment ces biomolécules convertissent de l’énergie chimique en mouvement ? La question simple fait toujours débat. Dans une étude publiée dans Nature, des chimistes français et anglais démontrent comment de très simples moteurs moléculaires artificiels sont capables de produire un tel travail en catalysant la conversion d’un carburant chimique chiral. De quoi propulser la robotique douce et la matière active.
Comment certaines molécules peuvent-elles accomplir un travail organisé et ordonné dans un environnement chaotique ? Le monde des molécules immergées dans un liquide est en effet régi par un processus stochastique, appelé mouvement brownien, qui décrit les trajectoires aléatoires des particules. Forcer une trajectoire plutôt qu’une autre n’est pas plus facile que de se déplacer dans un cyclone. C’est pourtant dans cet environnement désordonné que les moteurs biologiques, protéines aux structures complexes, produisent un travail mécanique parfaitement défini. Par exemple, la myosine-II est à l’origine de la contraction musculaire chez la plupart des animaux. Pour ce faire, cette protéine à activité enzymatique converti une source d’énergie chimique (l’adénosine triphosphate (ATP)) en un produit de réaction (l’adénosine diphosphate (ADP)). Cette transformation s’accompagne d’une cascade de mouvements parfaitement ordonnés qui se traduisent par la contraction macroscopique du tissu musculaire. Le mécanisme à l’œuvre dans cette conversion d’énergie chimique en travail n’est pourtant toujours pas tranché par la communauté scientifique.
Dans le cadre du projet collaboratif européen ITN-ArtMoMa, des chimistes de l’Institut Charles Sadron (CNRS/Université de Strasbourg/Institut Universitaire de France) et de l’Université de Manchester sont parvenus à répondre à cette question à l’aide d’un système chimique minimal. Ils ont pour cela combiné des petits moteurs rotatifs (1000 fois plus petits que la myosine-II) à un réseau polymère pour former un hydrogel actif. Les moteurs moléculaires utilisés sont composés d’une partie statique (stator) et d’une partie mobile (rotor). Lors de l’ajout d’un carburant chimique, le moteur catalyse la transformation du carburant en produit de réaction, ce qui entraine la rotation du rotor à travers une suite ordonnée de changements conformationnels. Le rotor chimiquement lié aux chaînes de polymère entraîne à son tour la contraction ou l’expansion du matériau, selon que qu’il tourne dans un sens ou dans l’autre. Ce sens préférentiel de rotation transféré au réseau polymère est déterminé par la chiralité du carburant. Selon l’excès énantiomérique de ce dernier, une contraction ou une extension macroscopique de l’hydrogel est observée. En mesurant les changements de propriétés du matériau hydrogel, les chercheurs ont également pu déterminer la force générée par le moteur et son rendement énergétique.
Ce système très simple démontre comment un catalyseur est capable de convertir une source d’énergie chimique en mouvements contrôlés jusqu’à l’échelle macroscopique en jouant sur l’asymétrie des constantes de vitesses des réactions impliquées dans le cycle catalytique. Cette étude publiée dans la revue Nature met en évidence le potentiel des moteurs moléculaires artificiels pour expliquer un des grands principes de fonctionnement du vivant. Elle pourrait également inspirer la conception de nouveaux éléments actifs dans le domaine de la science des matériaux et des nanotechnologies.
Rédacteur : AVR
Référence
Transducing chemical energy through catalysis by an artificial molecular motor
Peng-Lai Wang, Stefan Borsley, Martin J. Power, Alessandro Cavasso, Nicolas Giuseppone & David Leigh
Nature 2024
https://doi.org/10.1038/s41586-024-08288-x