Jérémy MeradEnseignant-chercheur à l’Institut de chimie et biochimie moléculaires et supramoléculaires (CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1)
Avec son projet PhotoCOCa, Jérémy Merad, enseignant-chercheur à l’Institut de chimie et biochimie moléculaires et supramoléculaires, est un des lauréats de l’appel à projet Emergence@INC2025. Par cet appel, CNRS Chimie accompagne des chargés de recherche ou maîtres de conférence recrutés depuis 4 à 10 ans en finançant un projet novateur et en encourageant la prise de risque.
Votre projet PhotoCOCa vise à explorer une nouvelle approche oxydante pour incorporer le CO2 dans la structure de molécules organiques d’intérêt, une stratégie durable pour valoriser ce déchet des activités humaines. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Le dioxyde de carbone est un puissant gaz à effet de serre dont la responsabilité dans les bouleversements climatiques actuels n’est plus à démontrer. Pour nous, chimistes organiciens, cette petite molécule abondante et peu couteuse constitue pourtant une source de carbone intéressante. A ce titre, réutiliser ce déchet des activités humaines pour construire des molécules d’intérêt apparait comme un concept vertueux. Toutefois, cette idée attractive se heurte à la stabilité et l’inertie chimique de la molécule de CO2. En effet, l’utilisation de ce gaz comme source de carbone nécessite généralement l’emploi de composés très réactifs ou de conditions drastiques de température et de pression, limitant ainsi les applications potentielles. Dans ce contexte, le projet PhotoCOCa vise à utiliser l’énergie lumineuse pour convertir le CO2 en intermédiaire réactionnel hautement réactif exploitable comme brique moléculaire dans la construction de molécules complexes. Dans une certaine mesure, il s’agit donc de photosynthèse artificielle.
En quoi cette recherche est-elle émergente et à risque ?
L’idée centrale du projet PhotoCOCa est de convertir le CO2 en espèce radicalaire très réactive. Des approches analogues basées sur la réduction du CO2 en radical anion CO2 • ‒ ont déjà été décrites mais nécessitent des conditions très réductrices souvent incompatibles avec la synthèse de molécules élaborées. A l’inverse, notre stratégie vise à concevoir une méthode oxydante inédite en combinant deux types de catalyse au sein de la même réaction : l’organocatalyse1 et la catalyse photorédox2 . Cette combinaison devrait permettre d’accroitre progressivement la réactivité du CO2 par le biais d’un processus à deux étapes : 1) le piégeage du CO2 par organocatalyse sous forme de sel ; 2) l’oxydation photocatalysée du sel en radical libre (alors que l’oxydation directe du CO2 est impossible). Cette approche originale s’appuie sur une expertise forte de notre équipe dans le développement de systèmes multicatalytiques combinant catalyses organique et photorédox, et s’inscrit dans la continuité de nos récents travaux concernant l’utilisation du CO2 comme groupement directeur dans les réactions de fonctionnalisation C-H radicalaires. Ce projet représente toutefois un réel défi puisque chacune des deux étapes proposées reste inédite et devra être développée séparément. Un second challenge réside dans la possibilité de faire cohabiter ces deux systèmes catalytiques au sein d’une même réaction.
Quelles pourraient-en être les principales retombées ?
En cas de succès, le projet PhotoCOCa apportera une nouvelle méthode efficace pour revaloriser le CO2 par voie chimique. Nous prévoyons d’employer ce processus pour la synthèse de molécules chirales ou de polymères de type polycarbonates. A titre personnel, le financement de ce projet représente une opportunité unique de permettre à mes thématiques de recherches de répondre à un défi sociétal concret. De plus, ce soutien constituera un tremplin pour ma carrière en accroissant la visibilité de mes travaux dans un domaine très dynamique et compétitif tout en me permettant d’obtenir des résultats décisifs en vue d’une candidature à des appels à projet internationaux comme l’ERC.
Rédacteur : CCdM
- 1L organocatalyse est une forme de catalyse dans laquelle une réaction chimique est accélérée par un catalyseur organique sans inclure de métaux de transition.
- 2En catalyse photoredox, la lumière est utilisée pour activer un catalyseur photosensible, souvent un complexe métallique ou une molécule organique, afin de déclencher une série de réactions d oxydo-réduction.