Maeva CotturaChercheuse à l’Institut Jean Lamour (CNRS/Université de Lorraine)
Avec son projet SHAMODI, Maeva Cottura, chercheuse à l’Institut Jean Lamour, est une des lauréates de l’appel à projet Emergence@INC2025. Par cet appel, CNRS Chimie accompagne des chargés de recherche ou maîtres de conférence recrutés depuis 4 à 10 ans en finançant un projet novateur et en encourageant la prise de risque.
Votre projet SHAMODI vise à mieux comprendre la précipitation discontinue, une transformation de phase à l’état solide observée dans de nombreux alliages métalliques. Un phénomène qui mène fréquemment à une perte significative de dureté ou de résistance à la corrosion. Pouvez-vous nous en dire plus ?
La précipitation discontinue (PD) est un phénomène observé lors de traitements thermiques dans de nombreux alliages métalliques tels que les alliages base aluminium, de magnésium, les superalliages1 ou les alliages à haute entropie2 . Elle conduit à la formation de nouvelles phases sous la forme de lamelles au niveau des joints de grains qui délimitent les grains de différentes orientations cristallographiques dans le matériau polycristallin. Ce phénomène peut altérer les propriétés mécaniques, notamment la résistance à la corrosion et la dureté, car il modifie la structure interne du matériau. Bien que très étudiée, la PD reste difficile à comprendre car elle implique de multiples mécanismes physiques et chimiques liés à la structure et aux propriétés des grains du matériau polycristallin.
Ce projet vise à comprendre les mécanismes de formation et de croissance des structures lamellaires en utilisant une modélisation de champ de phase dit « Sharp » (S-PFM), une méthode utilisée pour décrire les transitions ou les évolutions de phases dans les matériaux. Cette méthode est capable de modéliser cette évolution microstructurale avec une échelle spatiale (∼100 µm) et temporelle (heures) appropriée tout en tenant compte de la complexité des phénomènes impliqués. L’objectif est de déterminer les conditions favorisant la PD et les moyens de l’inhiber.
En quoi cette recherche est-elle émergente et à risque ?
Ce projet explore un domaine encore mal compris en science des matériaux, la précipitation discontinue, en utilisant une approche novatrice, le modèle S-PFM, encore peu utilisé, voire jamais, dans ce contexte. Contrairement aux modèles plus classiques, souvent limités par des hypothèses simplificatrices et/ou des contraintes numériques, cette extension du modèle S-PFM aux problématiques de la PD permettra de simuler des échelles spatiales beaucoup plus grandes et de mieux décrire les interactions complexes entre les joints de grains et leurs propriétés. L’extension de ce modèle à des propriétés mécaniques et chimiques, aspects rarement traités dans les études actuelles, pourrait offrir une compréhension nouvelle de la PD.
Quelles pourraient-en être les principales retombées ?
Sur le plan scientifique, ce projet permettra de mieux comprendre la PD afin de proposer des stratégies pour limiter ce phénomène et conduire à des matériaux plus performants et durables, en particulier pour l’industrie aéronautique et le secteur de l’énergie. Le développement du S-PFM permettra de mieux simuler divers phénomènes physiques et chimiques dans les alliages métalliques, ouvrant la voie à des études sur d'autres transformations de phases complexes. Cette nouvelle thématique de recherche pour l’équipe et moi-même nous positionnera à la pointe de ce qui existe en termes de modélisation de transformation de phases à l’état solide, renforçant ainsi nos expertises et notre visibilité dans le domaine. À long terme, elle pourrait conduire à de nouvelles collaborations industrielles et académiques.
Rédacteur : CCdM
- 1Un superalliage est un matériau métallique conçu pour résister à des conditions extrêmes - températures élevées, contraintes mécaniques importantes, environnements agressifs…
- 2Contrairement aux alliages conventionnels qui sont généralement dominés par un ou deux éléments principaux avec des ajouts mineurs d'autres éléments, un alliage à haute entropie contient plusieurs éléments en proportions à peu près équimolaires.