Comment les récepteurs olfactifs discriminent-ils les odeurs ?

Résultats scientifiques

Pour progresser dans la compréhension de l'olfaction, visualiser la liaison de l'odorant avec les récepteurs olfactifs reste un défi. En résolvant la structure de récepteurs olfactifs, une équipe franco-américaine de scientifiques a pu montrer comment ils se lient aux molécules odorantes et quels sont les mécanismes d’activation associés*. Des résultats publiés dans la revue Nature qui pourraient trouver des applications dans la parfumerie et l’agroalimentaire, mais aussi dans l’industrie pharmaceutique.

Notre sens de l'odorat repose sur l'interaction entre les molécules odorantes que nous inhalons et des protéines appelées « récepteurs olfactifs ». Ces récepteurs ont longtemps été des boîtes noires dont la structure tridimensionnelle à l'échelle atomique nous était inconnue. Or, pour progresser dans la compréhension de l’olfaction, visualiser la manière dont la molécule odorante se lie au récepteur est une étape incontournable.

En 2023, la toute première structure d'un récepteur olfactif humain était publiée dans Nature. C’était celle d'un récepteur de classe I, une classe qui représente 16 % de de nos récepteurs spécialisés dans la détection des acides carboxyliques**. La structure des récepteurs olfactifs de classe II, qui représentent 84% de nos récepteurs et que nous utilisons pour sentir la quasi-totalité des molécules odorantes que nous détectons, restait jusqu’à aujourd’hui inconnue. Pour une raison très simple : chez l’humain ou d’autres mammifères, ces récepteurs ne sont pas exprimés (produits) en quantités suffisantes pour permettre l’élucidation de leur structure. Cette faible expression a longtemps empêché la détermination structurale des récepteurs olfactifs ce qui a rendu leur étude particulièrement difficile jusqu'à aujourd'hui.

Pour contourner cette difficulté, des scientifiques de l’Institut de chimie des substances naturelles (CNRS) et de Duke University ont construit des séquences*** de récepteurs olfactifs appelées « consensus » à partir de l’ensemble des séquences d’une sous-famille de récepteurs olfactifs présents dans notre nez. Pour cela, ils ont sélectionné, pour chacune des 350 positions, l’acide aminé le plus fréquemment observé dans l'ensemble des récepteurs de cette sous-famille. Produits en quantité suffisante, ces récepteurs consensus, « modèles » d’une famille de récepteurs olfactifs, leur ont permis d’obtenir quatre nouvelles structures expérimentales de récepteur olfactif dont trois structures de récepteurs de classes II liés à des molécules odorantes variées. 

Ces structures révèlent que les récepteurs olfactifs de classe I et classe II utilisent des modes de liaison aux molécules odorantes distincts et des mécanismes d’activation différents. Les récepteurs de classe I utilisent un mécanisme d'activation simple. Un seul acide aminé, présent dans tous les récepteurs de cette classe, est impliqué dans la détection des acides carboxyliques.  En revanche, les récepteurs de classe II qui se lient à des molécules beaucoup plus variées nécessitent plusieurs acides aminés, répartis dans toute leur cavité, pour détecter ces différentes molécules odorantes. 

Des résultats qui auront un impact sur notre compréhension de la perception des odeurs et qui trouveront des applications dans les domaines de la parfumerie et l’agroalimentaire. Mais pas uniquement. Ils pourraient également intéresser les pharmacologues car certains de ces récepteurs olfactifs sont exprimés dans de nombreux types de cellules en dehors de notre système olfactif et semblent jouer un rôle dans la prolifération de plusieurs cancers.

* Un mécanisme d'activation associé à un récepteur olfactif décrit le processus par lequel une molécule odorante se lie à un récepteur olfactif, déclenchant une cascade de réactions à l'intérieur du neurone sensoriel qui aboutit à la perception d'une odeur.

**Les acides carboxyliques sont des groupements R-COOH que l’on retrouve dans le fromage, la noix de coco, certains fruits, le vinaigre et de nombreuses huiles animales ou végétales.

*** Chaque récepteur olfactif est constitué d’une séquence d’environ 350 acides aminés.

 

Rédacteur : CCdM

Référence

Claire A. de March, Ning Ma, Christian B. Billesbølle, Jeevan Tewari, Claudia Llinas del Torrent, Wijnand J. C. van der Velden, Ichie Ojiro, Ikumi Takayama, Bryan Faust, Linus Li, Nagarajan Vaidehi, Aashish Manglik & Hiroaki Matsunami
Engineered odorant receptors illuminate the basis of odour discrimination
Nature 2024 https://www.nature.com/articles/s41586-024-08126-0
DOI : 10.1038/s41586-024-08126-0

Contact

Claire de March
Chercheuse à l’Institut de chimie des substances naturelles (CNRS)
Communication CNRS Chimie