La structure i-motif de l’ADN existe-t-elle vraiment dans la cellule ?

Résultats scientifiques

Les i-motifs sont des structures atypiques de l’ADN dont on soupçonne qu’elles pourraient jouer un rôle clé dans certains processus biologiques. Leur détection récente dans la cellule grâce à un anticorps conçu à cet effet par une équipe australienne a suscité un grand intérêt. Toutefois, une nouvelle étude montre que cet anticorps pourrait ne pas être aussi spécifique que décrit. De quoi relancer le débat sur l’existence même de ces structures et leur potentiel intérêt thérapeutique. 

La découverte il y a plus de 60 ans de la structure en double hélice de l’ADN a fortement marqué les recherches en biologie moléculaire. Depuis, d’autres structures plus rares, mais qui pourraient jouer un rôle clé dans certains processus biologiques comme l’expression des gênes, ont suscité l’enthousiasme des chercheurs. Un exemple marquant sont les quadruplexes de guanine (G4). Ces structures sont formées par des séquences d’ADN riches en guanines, une des 4 bases nucléiques constitutives de l’ADN. Elles consistent en un empilement de tétrades de cette base. Leur présence dans les cellules a pu être démontrée depuis plusieurs années et constitue une piste d’exploration pour le traitement de certains cancers. 

Si un brin d’ADN est riche en guanine, son brin complémentaire est riche en cytosine. In vitro et en milieu acide, il a été démontré que les séquences riches en cytosines sont elles aussi capables de se replier en structures tétramériques pour former ce qu’on appelle les i-motifs. Cependant, leur existence dans des conditions physiologiques non pas acides mais neutres, comme dans nos cellules, reste sujette à débat. Un anticorps, appelé iMab, a été spécialement sélectionné pour détecter ces i-motifs dans les cellules et a permis de nombreuses études suggérant leur présence et leur rôle biologique. L’enjeu est d’autant plus important que ces structures pourraient être impliquée dans la régulation de la transcription des gènes, notamment dans certaines pathologies comme le cancer. Une nouvelle étude montre cependant que l'anticorps pourrait ne pas être aussi spécifique que décrit et vient rouvrir le débat.

Dans le cadre d’un projet interdisciplinaire soutenu par le CNRS et l’ANR, des scientifiques du Département de chimie moléculaire (CNRS/Université Grenoble Alpes), en étroite collaboration avec l’Institut Curie (CNRS/Université Paris Saclay), l’Institut FEMTO-ST (CNRS/Université Bourgogne - Franche-Comté) et l’Institut de pharmacologie et de biologie structurale (CNRS/Université de Toulouse III-Paul Sabatier), ont évalué comment l’anticorps iMab interagit avec différentes séquences d’ADN riches en cytosine, qu’elles forment ou non des i-motifs. Ils ont confirmé que l’iMab se lie bien aux i-motifs, mais aussi à toutes sortes de blocs de cytosines consécutives dans des séquences d’ADN simple-brin. Qui plus est, lorsqu’iMab interagit avec les i-motifs, il peut les déplier, même en milieu acide.

Ces résultats soulèvent des questions sur l’interprétation des études précédentes utilisant l’iMab pour détecter les i-motifs dans les cellules. Il est possible que l’anticorps ait en fait détecté des séquences d'ADN simple-brin plutôt que des i-motifs structurés. Cela pourrait expliquer les résultats contradictoires obtenus quant à la présence des i-motifs dans des conditions physiologiques neutres et invite à réévaluer les outils moléculaires utilisés pour détecter ces structures d'ADN dans les cellules. Cette étude, parue dans la revue Nucleic Acids Research, met par ailleurs en lumière un nouveau potentiel pour l'iMab dans l'étude des séquences d'ADN simple-brin riches en cytosine. Celles-ci pourraient jouer un rôle dans des processus biologiques encore peu explorés.

Rédacteur : AVR

Référence

iMab antibody binds single-stranded cytosine-rich sequences and unfolds DNA i-motifs
Joseph Boissieras, Hugues Bonnet, Maria Fidelia Susanto, Dennis Gomez, Eric Defrancq, Anton Granzhan & Jérôme Dejeu
Nucleic Acids Research 2024
https://doi.org/10.1093/nar/gkae531

Contact

Eric Defrancq
Enseignant-chercheur au Département de chimie moléculaire (CNRS/Université Grenoble-Alpes)
Jérôme Dejeu
Chercheur à l’Institut FEMTO-ST (CNRS/Université Franche-Comté)
Anton Granzhan
Chercheur au laboratoire Chimie et modélisation pour la biologie du cancer (CNRS/INSERM/Institut Curie/Université Paris Saclay)
Communication CNRS Chimie