Quand les achats des laboratoires de recherche pèsent sur le climat

Développement durable Résultats scientifiques

A contrecourant des débats essentiellement axés sur l’impact des déplacements en avion dans l’empreinte environnementale du monde académique, une nouvelle étude parue dans PLOS Sustainability and Transformation montre que les achats dominent les émissions des laboratoires de recherche français. La base de données développée constitue un premier jalon pour évaluer la quantité de gaz à effets de serre émise par les équipements et les consommables et ainsi éclairer la mise en œuvre d’une politique d’achats responsables.

Bien que la réduction de l’empreinte environnementale des activités de recherche soit un enjeu de plus en plus pressant au sein de la communauté scientifique, les débats se concentrent essentiellement sur les déplacements en avion. Pourtant, le budget des laboratoires relatif aux missions est souvent très inférieur à celui consacré aux achats de recherche. Il est donc primordial d’évaluer l’empreinte carbone de ce poste de dépenses.

Une équipe interdisciplinaire* travaillant au sein du GDR Labos 1point5 a montré que les achats représentent, en moyenne, plus de 50% des émissions des laboratoires expérimentaux français. Un ordre de grandeur similaire à celui observé à l’échelle du CNRS  en 2019, calculé en partie à l’aide de la base de facteurs d’émissions produite lors de ce travail. La nouvelle étude estime que les achats sont associés en moyenne à des émissions de 3,2 tCO2eq/personne/an sur l’ensemble des laboratoires. Ces émissions sont cependant distribuées de manière très hétérogène entre les laboratoires, qu’il s’agisse de leur volume ou de leur répartition. Les achats des laboratoires en sciences et technologies sont ainsi dominés par les équipements, tandis que ce sont les consommables qui prévalent pour les laboratoires en sciences de la vie. Connaître ces spécificités permet de proposer des stratégies de réduction d’émissions adaptées. La mutualisation des équipements par région et l’augmentation de leur durée de vie s’avèrent ainsi parmi les plus efficaces.

Pour obtenir ces résultats, les scientifiques ont construit une base de données de facteurs d’émission associés aux achats scientifiques, disponible sous licence Creative Commons. Ils se sont ensuite appuyés sur les bilans de gaz à effet de serre (BGES) de plus de 1 000 laboratoires obtenus grâce à l’outil GES 1point5.

Cette méthode donne des pistes pour élaborer des stratégies de réduction des émissions basées sur la demande, c’est-à-dire qui se fondent sur une réduction de la quantité de matériel. En revanche, elle n’est pas adaptée à évaluer des stratégies basées sur l’offre, autrement dit celles qui s’appuient sur la réduction non pas du nombre d’appareils achetés, mais directement des émissions associées à la fabrication des biens, grâce à l’adoption de processus de fabrication plus respectueux de l’environnement par les fabricants. En effet, la nomenclature utilisée par les organismes de recherche pour répertorier leurs achats ne permet pas de distinguer des équipements similaires avec des empreintes carbones différentes. La mise en place d’un inventaire d’achats compté en kilogrammes de CO2 eq, et non en euros comme aujourd’hui, permettrait de mieux estimer l’empreinte spécifique de chaque achat, et réaliser des choix éclairés. Cependant, cette nouvelle comptabilité environnementale de la recherche nécessitera la collaboration rapprochée des fabricants, de sorte à amorcer la mise en œuvre d’une politique publique d’achats responsables par l’enseignement supérieur et la recherche.

Ces résultats, qui soulignent l’importance des émissions associées aux achats et leur nécessaire prise en compte dans l’élaboration de trajectoires de décarbonation du secteur de la recherche, sont à retrouver dans la revue PLOS Sustainability and Transformation.

 

* Composée de scientifiques de l’Institut Micalis (INRAE/AgroParisTech/Université Paris-Saclay), de Géosciences Rennes (CNRS/Université de Rennes), de l’Unité de mathématiques et informatique appliquées de Toulouse (INRAE), du Laboratoire d'océanographie et du climat : expérimentations et approches numériques (CNRS/IRD/MNHN/Sorbonne Université) et du Laboratoire avancé de spectroscopie pour les interactions, la réactivité et l'environnement (CNRS/Université de Lille)

 

Rédacteur : CD

Référence

Purchases dominate the carbon footprint of research laboratories

Marianne De Paepe, Laurent Jeanneau, Jérôme Mariette, Olivier Aumont, André Estevez-Torres

PLOS Sustainability and Transformation 2024

DOI : https://doi.org/10.1371/journal.pstr.0000116 

Contact

André Estevez-Torres
Chercheur au Laboratoire de spectroscopie pour les interactions, la réactivité et l'environnement (CNRS/Université de Lille)
Communication CNRS Chimie