Le bore, un élément qui permet d’enfiler les molécules
S’il est parfois difficile d’enfiler un fil à coudre dans le chas d’une aiguille, que dire si les objets à manipuler étaient 1 million de fois plus petits ? C’est le défi qu’ont relevé avec succès des scientifiques de l’Institut des sciences chimiques de Rennes en enfilant une molécule linéaire à l’intérieur d’une molécule cyclique grâce au bore.
Si l’enfilage d’une molécule à l’intérieur d’une autre n’est pas nouveau, c’est la manière d’y parvenir qui l’est. Pour la première fois, des chercheurs de l’Institut des sciences chimiques de Rennes (CNRS / ENSC Rennes / Université de Rennes) ont montré qu’il était possible d’utiliser du bore, cinquième élément du tableau périodique, comme élément assembleur. Les molécules cycliques possèdent deux groupements OH pointant vers l’intérieur de la cavité, ce qui lui permet de se lier au bore de manière idéale pour enfiler une molécule. La procédure, relativement rapide (une trentaine de minutes) et aisée à mettre en œuvre, utilise ainsi des fils moléculaires possédant des groupements BF2. Il suffit de les activer avec du trichlorure d’aluminium pour que le macrocycle réagisse avec le bore et remplace les deux atomes de fluor de départ.
L’une des molécules enfilées, appelée BODIPY, a révélé des propriétés intéressantes et inattendues. Si ce composé est aujourd’hui largement utilisé pour ses propriétés de fluorescence, le BODIPY enfilé dans le macrocycle utilisé possède une propension à émettre de la lumière plus importante que son homologue non enfilé, avec un rendement quantique d’émission autour de 90%. Ce comportement, qui n’avait pas été anticipé, ouvre la voie à un nouveau groupe de molécules fortement émissives, propriété très utilisée dans le domaine du diagnostic biomédical. Dans ce cadre, l’utilisation combinée de la spectroscopie expérimentale et de la modélisation moléculaire, fondée sur des calculs de chimie quantique, a permis de mettre en évidence les raisons de cette émission plus efficace. Cette dernière découle des contraintes spatiales ressenties par la molécule au sein du macrocycle.
Par ailleurs, d’autres composés ont également pu être enfilés à l’intérieur de macrocycles grâce au bore : les β-dicétones. Ces derniers ont permis l’obtention, avec un très bon rendement, d’un rotaxane. Les rotaxanes font partie des composés ayant servi à la synthèse de machines moléculaires, récompensées par le prix Nobel de chimie en 2016. Grâce à l’ajout de groupements volumineux (appelés « bouchons ») à ses extrémités, le fil du rotaxane ne peut plus sortir du macrocycle. Une fois le bore retiré, le macrocycle est alors libre de glisser le long du fil sans jamais se « désenfiler ». Cette étude ouvre donc la voie à l’élaboration de nouvelles machines moléculaires dans le futur.
Référence
Threading a Linear Molecule Through a Macrocycle Thanks to Boron: Optical Properties of the Threaded Species and Synthesis of a Rotaxane
Matthieu Hicguet, Ludmilla Verrieux, Olivier Mongin, Thierry Roisnel, Fabienne Berrée, Arnaud Fihey, Boris Le Guennic, Yann Trolez
Angewandte Chemie International Edition, 2024, e202318297
https://doi.org/10.1002/anie.202318297