Comment se structure un liquide ionique au contact d’une paroi ?
Les liquides ioniques, largement utilisés comme solvants, électrolytes de batteries ou lubrifiants, voient leur structure moléculaire se réorganiser au contact d’une paroi solide. Des scientifiques du CNRS, de l’ENS de Lyon et du CEA montrent comment cette restructuration à l’interface impacte les propriétés de ces sels liquides. Ces résultats sont parus dans la revue Langmuir.
Les liquides ioniques sont des sels liquides à température ambiante composés uniquement d’ions. Ils sont souvent utilisés comme solvants non volatils, électrolytes pour les batteries ou lubrifiants dans diverses applications. Leur faible volatilité et leur stabilité thermique en font des alternatives intéressantes aux solvants organiques traditionnels.
La structuration à l'échelle moléculaire de ces liquides ioniques sur une paroi solide est un sujet de recherche très dynamique. En effet, des interactions intermoléculaires complexes entre la surface solide et le liquide conduisent à une ré-organisation moléculaire spécifique en surface. Cette structuration peut avoir un impact significatif sur les propriétés physiques et chimiques du liquide ionique à l'interface. Elle agit par exemple sur l’efficacité et la sélectivité de réactions catalytiques, gouverne l’efficacité anti-usure de lubrifiants, influence la durée de vie et la densité énergétique des dispositifs de stockages d’énergie… Hélas, cette structure interfaciale reste encore très mal comprise.
Prenons le cas des liquides ioniques amphiphiles* à longue chaîne carbonée** que l’on trouve par exemple dans les supercondensateurs, les capteurs électrochimiques ou les lubrifiants. Leur caractère amphiphile conduit à une nanostructuration du liquide en domaines polaires et apolaires. Des équipes du Laboratoire de physique et du Laboratoire de chimie à l’ENS de Lyon, du CEA Leti et du CEA Liten à Grenoble, se sont demandés ce que devenait cette nanostructuration au voisinage de différentes parois solides : deux substrats hydrophiles, le mica et la silice, et deux substrats hydrophobes, le silicium et le disulfure de molybdène (MoS2). Les trois premiers sont des substrats de référence, tandis que le dernier a été choisi pour l’importance de ses applications en électronique en combinaison avec des liquides ioniques***.
Pour cela, ils ont combiné des expériences de microscopie à force atomique (AFM) à des simulations de dynamique moléculaire. Les expériences d’AFM ont révélé qu’il pouvait exister trois types de structures interfaciales pour le même liquide ionique, qui dépendent de la nature du substrat et de la teneur en eau du système. Les simulations de dynamique moléculaire ont également permis de distinguer l’effet de l’eau de celui de la nature du substrat, et de mieux comprendre ainsi les comportements des liquides ioniques observés en surface de paroi. Ce travail devrait permettre, à terme, de proposer un cadre général capable de décrire, mais aussi de prédire, l’organisation interfaciale d’un liquide ionique amphiphile en fonction de la nature du substrat, et donc ses propriétés.
(*) Une espèce chimique est amphiphile lorsqu'elle possède à la fois un groupe hydrophile et un groupe hydrophobe.
(**) à base d'imidazolium à longue chaîne (1-octy-3-méthylimidazolium dicyanamide).
(***) Le MoS2 est un semiconducteur à 2D. Lorsqu’il est en contact avec un liquide ionique, sa conductivité varie très fortement en fonction de la structure interfaciale du liquide ionique, qui peut être modifiée à l’aide d’un potentiel externe. Cet effet est exploité dans une nouvelle classe de transistors à effet de champ à grille électrolytique, qui peuvent permettre de lever des verrous technologiques à la miniaturisation des transistors.
Rédacteur : CCdM
Référence
Layla Bou Tannous, Mirella Simoes Santos, Zheng Gong, Paul-Henri Haumesser, Anass Benayad, Agilio A. H. Padua, & Audrey Steinberger
Effect of Surface Chemistry on the Electrical Double Layer in a Long-Chain Ionic Liquid
Langmuir 2023