Polymères supramoléculaires : qui a dit que les forces dispersives ne faisaient pas le poids ?
Des chimistes du CNRS ont mis au point une stratégie innovante de fabrication de polymères supramoléculaires auto-réparables. Cette stratégie exploite des interactions faibles, les forces dispersives. Généralement considérées comme trop faibles pour guider la formation d’assemblages supramoléculaires, les scientifiques démontrent comment leur donner un rôle prépondérant dans une étude parue dans la revue Angewandte Chemie International Edition.
Les polymères supramoléculaires, analogues non-covalents des « plastiques » que nous utilisons quotidiennement, font l’objet de recherches accrues en vue de leur utilisation dans des domaines variés comme le biomédical ou l’électronique. A l’instar des biopolymères comme l’ADN, ces objets macromoléculaires sont formés de petites molécules liées entre elles par des interactions non-covalentes, comme les liaisons hydrogènes et les interactions de Van der Waals. Les premières, de forte intensité, impliquent un partage d’électrons entre un atome d’hydrogène d’une molécule et un atome d’oxygène d’une molécule voisine. Les secondes, aussi appelées forces dispersives, correspondent à une faible interaction électrique à courte distance entre atomes et/ou molécules voisines. L’avantage de ces polymères est que les liaisons qui constituent la chaîne ne sont pas permanentes et permettent, en fonction de la température, de passer d’un liquide constitué de petites molécules à un solide élastique ou rigide. Ces polymères sont également auto-réparables puisqu’une élévation locale de la température permet de « colmater » par fusion locale des fissures dans le matériau.
Longtemps, la communauté scientifique a considéré que la croissance des polymères supramoléculaires était fixée par la thermodynamique. Dans certains cas, des assemblages plutôt contrôlés par la cinétique peuvent aussi être obtenus, ouvrant la porte à des tailles et formes d’objets supramoléculaires plus variées. Ces processus cinétiques reposent exclusivement sur le fait de retarder pour un temps la polymérisation spontanée (thermodynamique) en bloquant la formation des liaisons hydrogènes intermoléculaires, responsables de la construction des assemblages.
Des chimistes du CNRS à l’Institut des sciences chimiques de Rennes (ISCR, CNRS/Université de Rennes/ENSCR/INSA Rennes) ont récemment mis au point une nouvelle approche qui permet également de retarder les polymérisations spontanées, non plus en bloquant la formation de liaisons hydrogènes mais en boostant le rôle des forces dispersives. Le principe est le suivant : en fonctionnalisant judicieusement une molécule organique avec, d’une part, des fonctions amides responsables des liaisons hydrogènes et, d’autre part, des motifs cycliques (aromatiques) à 6 atomes de carbone ainsi que des chaînes carbonées linéaires favorisant les forces dispersives, ces dernières deviennent force motrice de l’assemblage. En outre, cet assemblage ne permet pas la croissance des architectures thermodynamiques via les liaisons hydrogène. Cette approche, qui repose sur la coopérativité de très nombreuses interactions faibles, ouvre de nouvelles opportunités pour la fabrication de polymères supramoléculaires. Elle vient d’être publiée dans la revue Angewandte Chemie International Edition.
Rédacteur: AVR
Référence
Kinetic Delay in Cooperative Supramolecular Polymerization by Redefining the Trade-Off Relationship between H-Bonds and Van der Waals/π–π Stacking Interactions
William T. Gallonde, Corentin Poidevin, Dr. Felix Houard, Dr. Elsa Caytan, Dr. Vincent Dorcet, Dr. Arnaud Fihey, Prof. Kevin Bernot, Prof. Stéphane Rigaut, Dr. Olivier Galangau
Angew. Chem. Int. Ed. 2023
https://doi.org/10.1002/anie.202313696