Régulation in vivo de la torsion de l’ADN lors de l’expression d’un gène
En raison de la structure en double hélice de l'ADN, les moteurs moléculaires assurant la transcription des gènes subissent des contraintes de torsion dont l’ampleur et les effets demeurent imprédictibles. Des scientifiques des laboratoires « Recherche translationnelle et innovation en médecine et complexité » (TIMC - CNRS/Université Grenoble Alpes/INP Grenoble), Gulliver (CNRS/ESPCI Paris), et du Centre interdisciplinaire de recherche en biologie (CIRB – CNRS/Inserm/Collège de France), proposent une approche interdisciplinaire novatrice permettant de révéler comment certaines enzymes régulent la torsion de l’ADN, et donc le niveau d’expression des gènes.
L'ADN, support de l'information génétique, est formé de deux brins enroulés l'un autour de l'autre pour former une double hélice. Cette enroulement induit des contraintes topologiques qui sont au cœur des processus assurant le fonctionnement et la duplication des cellules. En particulier, les moteurs moléculaires impliqués dans l’expression des gènes ont tendance à sous-enrouler la double hélice d’ADN derrière eux et à la sur-enrouler devant. Ces contraintes de torsion affectent la transcription de gènes le long de l'ADN. Ainsi, chez les bactéries, l'orientation et la position relative des gènes jouent des rôles aussi cruciaux que les protéines qui s'attachent à l'ADN pour activer ou exprimer leur activité. Plusieurs modèles théoriques ont été proposés pour prédire comment ces contraintes topologiques entravent ou favorisent la transcription des gènes, mais sans validation expérimentale quantitative à ce jour.
Parallèlement, de nombreuses expériences in vitro ont mis en évidence l'importance de diverses protéines, dont les topoisomérases, dans la relaxation des contraintes de torsion associées au sur-enroulement de l'ADN. Néanmoins, leur implication et leur impact demeurent mal compris. En effet, il existe très peu de données in vivo où les conditions expérimentales sont suffisamment contrôlées pour permettre une confrontation avec les modèles théoriques proposés.
Dans le cadre d'une collaboration interdisciplinaire menée par des équipes des laboratoires « Recherche translationnelle et innovation en médecine et complexité » (TIMC - CNRS/Université Grenoble Alpes/INP Grenoble), Gulliver (CNRS/ESPCI Paris) et du Centre interdisciplinaire de recherche en biologie (CIRB – CNRS/Inserm/Collège de France), des scientifiques ont mis au point une expérience correspondant au principal modèle théorique qui explique l'influence de la topologie de l'ADN sur l'expression des gènes, un modèle proposé en 1977 par Leroy Liu et James Wang et connu sous le nom de « boucle transcriptionnelle jumelle ». En modélisant différents modes d'activité des topoisomérases et en comparant les résultats des modèles avec ceux des expériences, les scientifiques ont transformé le modèle qualitatif de Liu et Wang en modèle prédictif.
Les scientifiques ont ainsi pu estimer le taux d'activité des topoisomérases associées au processus d'expression des gènes chez les bactéries. Mieux encore, ils révèlent de nouveaux phénomènes, dont un effet antagoniste d'une des topoisomérases, dont l'activité est nécessaire pour que les moteurs moléculaires puissent se déplacer le long de l'ADN, mais qui, ce faisant, entrave l'initiation de ce mouvement. Des résultats à retrouver dans la revue Nucleic Acids Research.
Référence
Ihab Boulas, Lisa Bruno, Sylvie Rimsky, Olivier Espeli, Ivan Junier & Olivier Rivoire
Assessing in vivo the impact of gene context on transcription through DNA supercoiling
Nucleic Acids Research 2023