Les mécanismes primitifs à l’origine du lien entre ADN et propriétés cellulaires

Résultats scientifiques

L'ADN contient les informations essentielles pour guider toutes les propriétés des cellules, depuis leur croissance jusqu'à leur division en passant par leur capacité à s’adapter à leur environnement. Mais comment un tel lien entre ADN et propriétés cellulaires a-t-il pu émerger à l’origine de la vie ? Une vaste question à laquelle des chimistes du CNRS apportent un nouvel élément de réponse dans un article paru dans Nature Communications.

Il existe un lien étroit entre l’ADN et le développement et fonctionnement des cellules. Mais comment est-il apparu dans les premières proto-cellules aux origines de la vie ? Une question centrale qui nécessite de se pencher sur la synthèse même de l’ADN. Dans les cellules, l’ADN est synthétisé par des enzymes, machineries hautement sophistiquées dont l’efficacité a été optimisée au cours de l’évolution. Ces enzymes n’existaient pourtant pas à l’origine de la vie. Des biochimistes tentent donc de mettre en évidence les voies de synthèse primitives et non-enzymatiques de l’ADN via la polymérisation de briques élémentaires – mononucléotides ou oligonucléotides (des tous petits brins d’ADN).

Ces synthèses sont loin d’être aussi efficaces que celles catalysées par des enzymes car la réaction inverse d’hydrolyse entre en compétition avec la polymérisation de l’ADN. Une façon de contourner cette limitation consiste à concentrer les nucléotides dans des micro-compartiments synthétiques comme des vésicules lipidiques. Cependant, la structure de ces compartiments reste découplée de la synthèse d’ADN qu’ils hébergent.

Dans une étude récemment publiée dans la revue Nature Communications, des chimistes du Centre de recherche Paul Pascal (CNRS/université de Bordeaux) et du laboratoire Chimie Biologie Innovation (CNRS/ESPCI – PSL) sont parvenus à mettre en évidence un tel couplage entre la synthèse non-enzymatique d’ADN et la structure des compartiments dans laquelle elle a lieu. Pour cela, ils ont utilisé des microgouttelettes appelées coacervats* capables de concentrer des oligonucléotides. Ces coacervats représentent des modèles viables de protocellules qui auraient pu exister à l’origine de la vie.

Les chercheurs ont d’abord démontré que les coacervats accéléraient la polymérisation non-enzymatique des oligonucléotides du fait de leur surconcentration locale. Mais ce qui est sans doute plus remarquable c’est que cette polymérisation en sein des coacervats induit progressivement des changements de leur structure. C’est ainsi que les chercheurs ont vu apparaître dans les gouttelettes des domaines plus riches en ADN, issus de la ségrégation spontanée des polynucléotides synthétisés. Ce lien entre l’ADN produit dans les coacervats et la structure de ces derniers marque une première étape vers le couplage entre le contenu génétique et la structure de protocellules. Ces travaux apportent un nouvel éclairage sur les mécanismes primitifs qui auraient pu être à l’origine du lien entre l’ADN des toutes premières cellules et leurs propriétés fonctionnelles.

*Un coacervat (du latin coacervare, rassembler, mettre en groupe) est une petite gouttelette riche en polymères qui se forme spontanément dans l’eau par un phénomène de séparation de phase liquide-liquide (typiquement par interactions électrostatiques entre des molécules de charge opposée).

La synthèse non enzymatique d’ADN dans des gouttelettes de type coavervat utilisées comme mime de protocellules primitives indique une ségrégation progressive de l’ADN qui influence la structure même de l’intérieur de la gouttelette. © Nicolas Martin

Référence

Non-enzymatic oligonucleotide ligation in coacervate protocells sustains compartment-content coupling
Tommaso P. Fraccia & Nicolas Martin
Nature Communications 2023.
https://doi.org/10.1038/s41467-023-38163-8

Contact

Nicolas Martin
Chercheur au Centre de recherche Paul Pascal (CNRS/Université de Bordeaux)
Stéphanie Younès
Responsable Communication - Institut de chimie du CNRS
Christophe Cartier dit Moulin
Chercheur à l'Institut parisien de chimie moléculaire & Chargé de mission pour la communication scientifique de l'INC
Anne-Valérie Ruzette
Chargée scientifique pour la communication - Institut de chimie du CNRS