Une nouvelle génération de catalyseurs pour la synthèse éco-efficiente de l’ammoniac
L'ammoniac est un des produits chimiques les plus synthétisés au monde, mais par un procédé énergivore et fortement émetteur de CO2. Dans un article paru dans la revue ChemCatChem, des chimistes démontrent les performances remarquables d’une nouvelle génération de catalyseurs pour la synthèse éco-efficiente d'ammoniac compatible avec les énergies renouvelables.
La production mondiale annuelle d’ammoniac, de formule NH3, s’élève à près de 180 millions de tonnes (Mt), avec une croissance évaluée à 40% d’ici 2050, sans compter l’utilisation future éventuelle de cette molécule comme moyen de stockage de l’hydrogène [1]. Sa synthèse (N2 + 3H2 -> 2NH3), via le procédé historique Haber-Bosch (HB), représente pourtant un défi environnemental et énergétique majeur puisqu’elle contribue à 1,3% des émissions mondiales de CO2 (620 Mt CO2) et consomme 1% de la consommation d’énergie planétaire. Cette empreinte carbone spectaculaire est directement liée à l’utilisation d'hydrogène (H2) gris actuellement produit par reformage à la vapeur de gaz naturel ou par gazéification du charbon. Le développement d’hydrogène vert obtenu par électrolyse de l’eau alimentée par les énergies renouvelables apporte l’espoir de rendre ce procédé plus vertueux.
Contrairement au procédé HB conçu pour une production centralisée à grande échelle (> 1000 tNH3/jour) réalisée sous 200 bars de pression et 600 °C, la conversion d'hydrogène vert en ammoniac devra se faire dans des petites unités flexibles et décentralisées capables de supporter la nature intermittente des énergies renouvelables. Ces unités seront viables économiquement à condition de pouvoir réaliser la synthèse dans des conditions de température et de pression beaucoup plus modérées (300 à 350 °C et 10 à 50 bars). La course est donc lancée pour concevoir des catalyseurs permettant d’atteindre cet objectif.
Des chimistes de l’Institut de chimie des milieux et matériaux de Poitiers (IC2MP, CNRS/Université de Poitiers), en collaboration avec une équipe de l’Institut de chimie de la matière condensée de Bordeaux (ICMCB, CNRS/Université de Bordeaux), ont mis au point une série de catalyseurs composés de nanoparticules de ruthénium (Ru) supportées sur des phases intermétalliques de type RScSi où R est une terre rare. Ces composés intermétalliques ternaires, jusqu’ici développés pour stocker de l’hydrogène sous forme d’hydrures [2], s’avèrent être de très bons supports de catalyseurs à base de Ru pour générer l’ammoniac. En particulier, les composés intermétalliques à base de cérium (Ru/CeScSi) montrent une activité catalytique remarquable dans des conditions modérées et permettent d’obtenir des rendements en NH3 dès 300 °C et sous pression atmosphérique, là où les catalyseurs classiques (généralement à base de ruthénium supporté sur MgO, dopé ou non au césium) sont inactifs. Ces résultats, à retrouver dans la revue ChemCatChem, ouvrent un nouvel horizon pour une production durable d’ammoniac.
Rédacteur: AVR
[1] H. Liu, Chin. J. Catal. 2014, 35, 1619-1640
[2] T. Mahon, E. Gaudin, A. Villesuzanne, R. Decourt, J-L. Bobet, O. Isnard, B. Chevalier, S. Tencé, Inorg. Chem., 2018, 57, 14230-14239.
Référence
Influence of the rare earth (R) element in Ru-supported RScSi electride-like intermetallic catalysts for ammonia synthesis at low pressure: Insight into NH3 formation mechanism.
Charlotte Croisé, Khaled Alabd, Dr. Sophie Tencé, Dr. Etienne Gaudin, Dr. Antoine Villesuzanne, Dr. Xavier Courtois, Dr. Nicolas Bion & Dr. Fabien Can, ChemCatChem décembre 2022.
https://doi.org/10.1002/cctc.202201172