Température et mort cellulaire : une histoire de viscosité ?
Toute cellule se détériore et meurt au-delà d’une certaine température. Une équipe franco-italienne montre par des expériences combinées à des simulations numériques que cette fin serait provoquée par la modification structurale de seulement quelques protéines dont le déploiement perturbe toute la dynamique du milieu cellulaire. Ces résultats, à retrouver dans la revue ACS Central Science, soulèvent de nouvelles questions sur les mécanismes de mort cellulaire.
Chaque type d’organisme vivant s’est adapté au cours de l’évolution pour que ses cellules vivent et se développent autour d’une température bien définie. Les cellules humaines, par exemple, prospèrent autour de 37 degrés, tandis que celles de certains autres organismes peuvent supporter des températures bien plus basses ou plus élevées. Mais au-delà d’une certaine température, c’est inévitablement la mort cellulaire. Si le rôle néfaste de la température sur une cellule n'est pas complètement compris, c’est pourtant une question cruciale à bien des égards. D’abord, pour comprendre comment la vie a évolué sur la planète, et comment elle peut s'étendre ailleurs. Ensuite, parce que même de petites évolutions de température provoquées par des dérèglements climatiques pourraient déséquilibrer la répartition actuelle des organismes vivants. Enfin, pour optimiser les approches thérapeutiques qui utilisent une augmentation locale et très contrôlée de la température pour tuer des cellules, cancéreuses par exemple.
La vision globalement admise est que les protéines, macromolécules très abondantes et essentielles au fonctionnement cellulaire, se déplient au-delà d’une certaine température (changent de conformation) et cessent de remplir leur rôle. La question demeure de savoir si toutes les protéines subissent ce changement structurel, ou si seules quelques-unes d'entre elles, jouant un rôle clef, seraient affectées par le stress thermique.
Des chercheurs du Laboratoire de biochimie théorique (LBT, CNRS/Université de Paris Cité), du Laboratoire interdisciplinaire de physique (Liphy, CNRS/Université Grenoble Alpes) et de l’Université de Pérouse montrent dans une étude récemment parue dans la revue ACS Central Science que seule une petite quantité de protéines se déplie réellement et cesse d'être opérationnelle aux températures avoisinant la mort cellulaire. Leurs expériences de spectroscopie par diffusion de neutrons, combinées à des simulations multi-échelle de dynamique moléculaire, montrent aussi que, lorsque ces quelques protéines se déplient, elles altèrent les propriétés dynamiques du milieu cellulaire dont la viscosité locale augmente considérablement. La raison moléculaire de cet effet est simple : lorsqu'une protéine se déplie, elle devient un spaghetti souple et long qui interagit avec les macromolécules voisines pour former une sorte de gel. Cette augmentation de la viscosité pourrait-elle suffire pour bloquer certaines réactions métaboliques vitales contrôlées par la diffusivité locale et précipiter la mort cellulaire ? Une question soulevée par l’équipe qui compte bien poursuivre ses investigations pour y répondre.
Référence
Diffusive Dynamics of Bacterial Proteome as a Proxy of Cell Death
Daniele Di Bari, Stepan Timr, Marianne Guiral, Marie-Thérèse Giudici-Orticoni, Tilo Seydel, Christian Beck, Caterina Petrillo, Philippe Derreumaux, Simone Melchionna, Fabio Sterpone, Judith Peters & Alessandro Paciaroni, ACS Central Science 2022
https://doi.org/10.1021/acscentsci.2c01078