Une observation à l’échelle atomique de la cristallisation en milieu confiné

Résultats scientifiques

Comprendre le processus de cristallisation nécessite de détecter des phases transitoires qui échappent parfois aux méthodes conventionnelles. Cette difficulté est accentuée dans les matériaux poreux et autres environnements confinés. Des chimistes de l’Institut de chimie radicalaire (CNRS/Aix-Marseille Université) et de l’université de Cardiff ont conçu une technique qui permet d’observer le processus de cristallisation par résonance magnétique nucléaire (RMN). Publiés dans le Journal of the American Chemical Society, ces travaux reposent sur l’amplification du signal RMN, naturellement faible dans les phases intermédiaires du processus de cristallisation, pour le rendre détectable.

Le processus de cristallisation comporte plusieurs phases, liquides, amorphes ou cristallines, qui doivent être minutieusement caractérisées pour pouvoir observer et comprendre le phénomène en détail. Cette difficulté est accentuée lorsque le processus de cristallisation se produit dans des milieux poreux, comme lors de la formation des os, dans des procédés utilisés dans l’industrie pharmaceutique et également pendant la conception de batteries ou de cellules photovoltaïques. Ce cas de figure se rencontre aussi, de manière indésirable, à certaines interfaces ou aux extrémités d’un contenant. Les parties confinées du matériau ne vont pas réagir comme le reste et, par exemple, ne vont pas se dissoudre ou se solidifier. La résonance magnétique nucléaire (RMN) est une technique intéressante pour étudier les processus de cristallisation, mais sa faible sensibilité a limité son utilisation jusqu’à présent. Des chercheurs de l’Institut de chimie radicalaire (ICR, CNRS/Aix-Marseille Université) et de l’université de Cardiff (Royaume-Uni) ont néanmoins développé une méthode de RMN capable d’observer la cristallisation dans ces milieux confinés.

Les scientifiques ont pour cela conçu des nanomatériaux, de la famille des silices mésoporeuses dites « SBA-15 », présentant des pores de 7 à 8 nanomètres de diamètre au sein desquelles se produit la transition de l’état liquide vers l’état solide. La RMN est sensible au moment magnétique du spin des noyaux des atomes et peut identifier les différentes phases (liquide, solide…) impliquées dans la cristallisation. Cependant, l’intensité du signal RMN peut être trop faible, surtout lorsque le processus de cristallisation se produit dans les pores d’un nanomatériau, pour détecter les différentes phases du processus de cristallisation. Le nanomatériau SBA-15 contient cependant des électrons célibataires, qui permettent d’augmenter de manière impressionnante l’intensité du signal RMN grâce au phénomène de polarisation dynamique nucléaire. Cette augmentation de l’intensité du signal RMN est basée sur le transfert de la polarisation de spin des électrons célibataires vers le spin des noyaux sous l’effet d’une irradiation microonde, générée grâce à un instrument de pointe : le gyrotron. Le signal RMN est alors environ dix fois plus intense et réduit la durée totale de l’expérience RMN de plusieurs semaines à seulement quelques heures. Les chercheurs ont testé la méthode avec succès sur de la glycine, observant que des phases restaient métastables pendant plusieurs jours dans les pores des nanomatériaux. L’équipe étudie à présent la cristallisation en milieu confiné d’autres molécules, dont l’aspirine afin de stabiliser les formes solides présentant les activités pharmaceutiques les plus pertinentes pour des applications thérapeutiques.

Rédacteur : CCdM

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La nouvelle technique des chercheurs donne un signal utilisable grâce au gyrotron et au SBA-15 (en bas à droite), contrairement aux méthodes classiques qui restent illisibles (en bas à gauche). © Pierre Thureau

Référence

Marie Juramy, Romain Chèvre, Paolo Cerreia Vioglio, Fabio Ziarelli, Eric Besson, Stéphane Gastaldi, Stéphane Viel, Pierre Thureau, Kenneth D. M. Harris & Giulia Mollica
Monitoring Crystallization Processes in Confined Porous Materials by Dynamic Nuclear Polarization Solid-State Nuclear Magnetic Resonance

J. Am. Chem. Soc. 2021

https://doi.org/10.1021/jacs.0c12982

Contact

Pierre Thureau
Enseignant-chercheur à l’Institut de chimie radicalaire (CNRS/Aix-Marseille Université)
Giulia Mollica
Chercheuse à l'Institut de chimie radicalaire (CNRS/Aix-Marseille Université)
Stéphanie Younès
Responsable Communication - Institut de chimie du CNRS
Anne-Valérie Ruzette
Chargée scientifique pour la communication - Institut de chimie du CNRS
Christophe Cartier dit Moulin
Chercheur à l'Institut parisien de chimie moléculaire & Chargé de mission pour la communication scientifique de l'INC