Des matériaux inorganiques qui gardent la tête froide
Environ 70% de l’énergie générée dans le monde est perdue sous forme de chaleur. Les matériaux thermoélectriques, qui convertissent la chaleur en électricité, permettent de récupérer et valoriser cette chaleur dite « fatale ». Une propriété clef de ces dispositifs est une faible conductivité thermique. Une équipe de recherche anglo-française vient de mettre au point un nouveau matériau inorganique avec la plus faible conductivité thermique jamais enregistrée. Cette découverte, parue dans la revue Science, ouvre la voie au développement de nouveaux dispositifs thermoélectriques ou barrières thermiques essentiels pour une meilleure gestion de l’énergie.
L’effet thermoélectrique permet de générer une tension électrique au sein d’un matériau sous l’effet de la chaleur. L’exploitation de cette propriété, qui permettrait en principe de capter et convertir en électricité les énormes quantités de chaleur dissipées, et donc perdues, nécessite la mise au point de matériaux performants présentant une conductivité thermique la plus faible possible. Egalement très prisés pour la fabrication de barrières thermiques et, plus généralement pour la gestion de la chaleur, ces matériaux mobilisent de nombreux chercheurs à travers le monde. Si la conductivité électrique repose sur le mouvement de charges mobiles, typiquement les électrons, la conductivité thermique à travers un solide se fait les vibrations ondulatoires des atomes. Ces ondes, appelées « phonons », permettent le transport de l’énergie thermique à travers la matière. Pour baisser la conduction, il faut soit réduire la longueur de diffusion de ces phonons, soit modifier leur vitesse de propagation. La longueur de diffusion peut être modifiée par l’introduction de désordre dans le réseau atomique, tandis que la vitesse de propagation dépend quant à elle des paramètres intrinsèques du matériau, comme sa structure et sa composition.
C’est cette deuxième approche qu’a choisie une équipe de recherche anglaise de l’Université de Liverpool qui a conçu et synthétisé un matériau lamellaire constitué de l’empilement de deux sous-réseaux cristallins. Cet empilement lamellaire, formé par auto-assemblage lors de la synthèse, permet de modifier les différents types de phonons en combinant plusieurs stratégies liées à la nature de ces sous-réseaux et des interfaces qui les unissent. Alors qu’on aurait pu s’attendre à une valeur moyenne de conductivité pour ce matériau hybride, les chercheurs ont obtenu un matériau multicouche qui combine ces deux réseaux atomiques mais présente une conductivité thermique nettement inférieure à celles de ses constituants. Ce résultat inattendu, confirmé par des mesures de conductivité sur les cristaux par une équipe du laboratoire de Cristallographie et sciences des matériaux (CNRS/Université de Caen Normandie/ENSICAEN), démontre un effet de synergie très bénéfique qui permet de modifier la vitesse à laquelle la chaleur se déplace dans le solide. La conductivité thermique atteint alors une valeur extrêmement faible de 0.4 à 0.1 Wm-1K-1 selon les directions. Ces résultats, parus dans la revue Science, représentent une avancée majeure dans le contrôle des flux thermiques à l’échelle atomique qui devraient permettre d’accélérer le développement de systèmes pour convertir la chaleur fatale en énergie durable ou créer des barrières thermiques efficaces.
Rédacteur: AVR
Référence
Low thermal conductivity in a modular inorganic material with bonding anisotropy and mismatch
Quinn D. Gibson, Tianqi Zhao, Luke M. Daniels, Helen C. Walker, Ramzy Daou, Sylvie Hébert, Marco Zanella, Matthew S. Dyer, John B. Claridge, Ben Slater, Michael W. Gaultois, Furio Corà, Jonathan Alaria and Matthew J. Rosseinsky
Science 15 juillet 2021
DOI: 10.1126/science.abh161