Reiko Oda, une japonaise aguerrie à l’art du ruban
Persévérer. Collaborer. Depuis le début de sa carrière et aujourd’hui à l’Institut de Chimie et biologie des membranes et des nano-objets (CNRS/Université de Bordeaux/Bordeaux INP), Reiko Oda concentre tous ses efforts sur l’assemblage de molécules de tensioactifs bien particuliers : des rubans en forme d’hélice. A l’interface de la chimie physique et de la biologie, elle s’appuie sur un réseau mondial de collaborations pour contrôler toujours plus finement la fabrication de ces nano-objets qui intéressent de nombreux champs d’application : écrans tactiles et 3D, mais aussi médicaments.
Tout en double, ou plus !
Ne cherchez pas à la mettre dans une case. Elle est partout. Elle est sur tous les fronts. Reiko Oda vit et travaille en France, mais précise d’un ton amusé : « je suis de fabrication japonaise, bien que je sois née à Boston». Dans la vie, Reiko Oda est directrice de recherche au CNRS. Elle a peut-être hérité son esprit scientifique de son père, astrophysicien. Elle est aussi musicienne : c’est auprès de sa mère, pianiste, qu’elle a appris le piano dès l’âge de trois ans. Elle aime la littérature. Elle a fait de l’équitation. Elle court le marathon. Elle s’essaie aux échecs, à l’art du sabre « Kendo »…
Rien sans rien
Hyperactive ? Certainement oui. Elle réussit, mais pas sans effort. Elle persévère. « Je n’ai jamais été première de la classe, j’ai vite compris que si je voulais quelque chose, je devais insister » confie-t-elle. Au lycée, elle est poussée par des « parents extraordinaires », qui « ne lui mettent jamais la pression ». Travail. Persévérance. Elle ouvre les portes de l’université de Tokyo, en physique. Mais échoue quatre ans plus tard à l’examen écrit d’entrée au Master. Elle rebondit vite. Admise au MIT de Boston, elle est encouragée par son directeur à monter, seule, son sujet de thèse. Après quinze jours à la bibliothèque, elle s’intéresse aux bulles de savon : le fil conducteur de toute sa carrière !
Les bulles dans tous leurs états
La morphologie de la bulle ? « Elle est liée au caractère amphiphile des molécules qui la composent » explique Reiko. Ces molécules ont un côté qui aime l’eau, l’autre qui préfère les corps gras. Elles s’auto-assemblent en en forme de bulle, de tube, de ruban…Depuis vingt ans, Reiko s’appuie sur ces propriétés amphiphiles pour fabriquer des nano-rubans hélicoïdaux. A force de persévérance, elle contrôle aujourd’hui finement le pas et la chiralité(1) de ces hélices ainsi que leur diamètre. Elle modifie leurs compositions, leurs fonctionnalités, leurs propriétés. Elle réussit à figer ces assemblages par nature très flexibles et fragiles, avec des silicates, ouvrant les champs d’applications à l’optique, la biomimétique ou la catalyse chimique.
Tisser des liens
Comme les molécules amphiphiles se lient entre elles pour bâtir des bulles ou des hélices, Reiko Oda tisse des liens entre chercheurs pour créer des collaborations interdisciplinaires et internationales. Des relations de qualité, durables, honnêtes. A l’image de l’amitié avec des chercheurs français qui l’ont tant soutenue dans la rédaction de sa thèse. « Pendant les dernières semaines, on s’appelait tous les jours » se souvient Reiko Oda. « Avec le décalage horaire, je l’appelais à 9h depuis Boston, il était 3h de l’après-midi en France ». En 1998, à l’Institut Européen de Chimie et Biologie, incubateur d’équipes de recherche international et interdisciplinaire, placé sous la tutelle conjointe du CNRS, de l’Inserm et de l’Université de Bordeaux, Reiko est appelée, avec cinq chercheurs, à créer sa propre équipe. « Commencer en même temps, créer son réseau, définir son projet, chercher son budget, c’était hyper stimulant » confie-t-elle. Son équipe ? Elle est multiculturelle, multidisciplinaire, tournée vers le Japon. Reiko, qui réalise qu’elle avait un temps « moins consciente qu’elle était japonaise », revient à ses racines et intensifie toujours plus les échanges avec son archipel : elle a construit et dirige l’IRP « Chiral Nanostructures for Photonic Applications » entre Bordeaux et les prestigieuses universités de Kyoto et Kumamoto.
Cécile Dupuch-Sicaud
(1) Deux objets chiraux sont non superposables comme la main gauche et la main droite.
Reiko Oda, en quelques dates
1988 : Bachelor degree en Physique à l’Université de Tokyo
1994 : Doctorat au Massaschusetts Institute of Technology de Boston
1994-98 : Post-doc à l’Université Louis Pasteur de Strasbourg
1998-2000 : CR-DGA
2000 : entre au CNRS
Aujourd’hui : dirige le groupe de recherche « Chiral Molecular Assemblies » dans l’UMR « Chimie et biologie des membranes et des nanoobjets » (CBMN, CNRS/Université de Bordeaux/Bordeaux INP).