Dossier : La recherche, moteur de l’économie circulaire

Innovation

La résolution de la crise mondiale des déchets ne se limite pas au recyclage. C’est l’ensemble du cycle de vie des matières, de leur extraction jusqu’à leur réutilisation, qu’il faut repenser. Recherche fondamentale, collaboration avec des industriels, start-up, le CNRS se positionne en leader sur ces sujets en pilotant un ambitieux programme de recherche pluridisciplinaire.

Comment généraliser le recyclage et la réutilisation des matières dans une économie mondialisée, consommatrice de toujours plus de matériaux neufs, génératrice de milliards de tonnes de déchets très mal valorisés, et qui repose sur une extraction croissante de ressources naturelles ? Le Programme et équipements prioritaires de recherche (PEPR) d’accélération Recyclage, recyclabilité, réutilisation des matières, piloté depuis 2023 par le CNRS dans le cadre du plan France 2030, ambitionne de résoudre cette problématique d’apparence inextricable.

« Nous voulons éclairer les décisions et proposer des solutions sur le cycle complet de la matière et des déchets », explique Jean-François Gérard, chimiste au laboratoire Ingénierie des matériaux polymères1 (IMP), qui coordonne le PEPR. En associant plusieurs disciplines (anthropologie, physique, chimie, géographie, etc.) qui, jusque-là, ne collaboraient pas beaucoup sur ce sujet, il s’agit d’interroger « cette circularité de façon holistique », précise-t-il. « Les recherches menées au sein de ce PEPR ont aussi vocation à avoir un impact rapide sur notre quotidien, à travers des collaborations avec des industriels ou par la création d’entreprises capables d’apporter des solutions concrètes », rapporte également le chimiste qui souligne que CNRS Innovation, la filiale de valorisation de l’organisme, est un des coordinateurs de l’action prématuration-maturation du programme.

 

Derrière l’arbre du recyclage, une forêt de déchets

Les scientifiques sont unanimes vis-à-vis du recyclage : il demeure peu développé et ne peut être brandi comme une solution ultime aux problèmes des déchets. « Quand bien même nous serions en mesure de collecter et recycler 100 % de toutes les matières extraites et transformées dans le monde, leur part restera insuffisante pour couvrir une demande mondiale qui ne cesse de croître », pointe Yann Tastevin, anthropologue au CNRS, rattaché au laboratoire international de recherche Environnement, santé, sociétés2 à Dakar et intégré au volet sciences humaines et sociales du PEPR.

Les chiffres sont éloquents. Le recyclage peine à s’imposer et s’avère peu efficace pour endiguer les deux milliards de tonnes de déchets produites chaque année dans le monde. Ainsi organisé, le recyclage est condamné à « rester minoritaire », affirme Solène Touzé, ingénieure de recherche en génie des procédés au Bureau de recherches géologiques et minières, associée au PEPR. Elle pointe comme principale limite le fait que le recyclage soit organisé en « un marché basé sur la valeur du déchet ». Autrement dit, ce système dépend d’un flux continu d’ordures pour fonctionner et perdurer. « C’est ce qui explique que les décideurs et les organismes de collecte dépensent beaucoup d’argent pour le recyclage ménager, mais très peu pour tarir le déchet à la source », renchérit Jean-Baptiste Bahers, géographe au CNRS au sein du laboratoire Espaces et sociétés3 , également associé au PEPR.

 

Un centre de tri des déchets peut recevoir plus de 800 tonnes de papier, carton, aluminium, acier, chaque semaine.
Un centre de tri des déchets peut recevoir plus de 800 tonnes de papier, carton, aluminium, acier, chaque semaine. © Gparigot/Stock.adobe.com

 

Quelle valeur pour les déchets à recycler ?

Dans une économie de l’hyperconsommation et de l’usage unique, les déchets ménagers (0,7 kilogramme/habitant/jour) demeurent ceux sur lesquels le projecteur est braqué. Cette vision étriquée produit de nombreux angles morts et invisibilise une importante partie du stock mondial de déchets, à savoir ceux issus de l’agriculture (3,35 kg/hab/j), ou de l’industrie (12,7 kg/hab/j), parmi lesquels 54 millions de tonnes de déchets d’équipement électrique et électronique (DEEE) en 20194 . Or, ces derniers sont très peu recyclés, signale Solène Touzé : « Seuls le cuivre et quelques métaux précieux le sont, car ils ont une valeur marchande. Mais ils représentent moins de 25 % de la masse de métaux contenus dans ce type de produits ». C’est ainsi que l’or présent dans les cartes électroniques de nos ordinateurs ou de nos téléphones n’est recyclé « qu’au-dessus d’une teneur de 100 parties par million » (soit 0,01 % du poids). Preuve supplémentaire que le recyclage est avant tout un marché, puisqu’il n’est opérable qu’à partir d’un certain seuil de rentabilité.

Il existe donc un gisement massif de matières premières, contenu dans ce que les chercheurs dénomment l’« anthropomasse » (ou « masse anthropique »). Elle correspond aux millions de tonnes de tous les artefacts créés par l’humanité qui s’accumulent sur la planète, et pèse désormais plus que la biomasse mondiale, c’est-à-dire le poids de tout ce que la Terre compte de vivant.

Avec la nécessaire décarbonation de l’économie pour parvenir à limiter le réchauffement climatique sous le seuil fixé par les accords de Paris (+1,5 °C), un paradoxe nouveau fait surface. Nos besoins en matières premières stratégiques et rares vont considérablement augmenter pour répondre à l’essor des technologies utiles à cette décarbonation. Or, à l’heure actuelle, la majorité de notre approvisionnement provient de l’exploitation minière. Mais, selon l’Agence internationale de l’énergie, cette augmentation de la demande en lithium, nickel, cobalt, manganèse et autre graphite pourrait conduire à la création d’environ quatre cents nouvelles mines d’ici à 2035, si aucune autre solution n’émerge. Alors pourquoi ne pas puiser dans l’anthropomasse ces matières rares dont nous avons tant besoin ?

 

La mine urbaine, gigantesque gisement anthropique

« Au sein du PEPR, nous souhaitons notamment résoudre ce paradoxe en proposant un nouvel équilibre entre l’extraction minière et l’exploitation de la mine urbaine », explique Stéphane Pellet-Rostaing, directeur de recherche CNRS à l’Institut de chimie séparative de Marcoule5 . Par contraste avec les mines primaires où les ressources naturelles sont exploitées, la mine urbaine regroupe les substances minérales et métalliques contenues dans nos véhicules, nos batteries et nos DEEE. Pour les chercheurs, une approche sur deux fronts s’impose. Il faut, d’un côté, proposer des solutions pour réduire l’impact environnemental des procédés d’extraction existants, notamment pour la consommation en eau ou les pollutions induites par l’excavation et la séparation des matières (flottation, lixiviation, etc.). De l’autre, il s’agit de développer des alternatives à cette récolte de matières naturelles en tirant profit des matières précieuses et stratégiques contenues dans la mine urbaine. En 2021, « sur 58 millions de tonnes de DEEE fabriquées et vendues dans le monde, seules 10 millions ont été collectées et recyclées », poursuit le chercheur. Ce gigantesque gisement anthropique recèle pas moins de 182 millions de tonnes de métaux industriels (cuivre aluminium, zinc, titane, etc.), d’après le Conseil de l’Europe, et 1,5 million de tonnes de métaux technologiques et précieux (cobalt, gallium, platinoïdes, or, tantale, etc.) attendent d’être exploités.

 

En 2021, sur 58 millions de tonnes de DEEE fabriquées et vendues dans le monde, seules 10 millions ont été collectées et recyclées.
En 2021, sur 58 millions de tonnes de DEEE fabriquées et vendues dans le monde, seules 10 millions ont été collectées et recyclées. ©Imfotograf/Stock.adobe.com

 

Encore faut-il parvenir à caractériser et isoler les matières précieuses au sein des déchets dans lesquels elles sont intégrées. C’est l’objectif que le laboratoire commun Lilab, une collaboration public-privé entre l’Institut de recherche de Chimie Paris6 et l’entreprise Eramet, s’efforce d’atteindre en développant des procédés de recyclage de batteries Li-ion pour produire de nouveaux matériaux d’électrode. Créé en 2019 face à l’électrification massive du parc automobile intensifiant la demande en lithium (composé au cœur des batteries des véhicules électriques), Lilab s’est lancé dans le développement de procédés afin de limiter l’impact environnemental de ces ressources depuis la mine à leur traitement en fin de vie. Pour éviter le recours au lithium, d’autres entreprises innovent, comme la start-up BeFC (voir encadré) qui propose une alternative écoresponsable aux micropiles, utilisées dans de nombreux produits.

  • 1Unité CNRS/Insa Lyon/Université Claude Bernard /Université Jean Monnet.
  • 2Unité CNRS/CNRST/Université Cheikh-Anta-Diop/Université Gaston-Berger.
  • 3Unité CNRS/Institut Agro/Le Mans Université/Nantes Université/Université d’Angers/Université Caen-Normandie/Université Rennes 2.
  • 4Données Banque mondiale : rapport « What a Waste ».
  • 5Unité CNRS/CEA/ENSC Montpellier/Université de Montpellier.
  • 6Unité CNRS/Chimie ParisTech – PSL.

BeFC : une pile de sucre et de papier

Imaginez une pile électrique, plus petite qu’une carte bancaire, qui fonctionne avec du papier, des enzymes et du sucre. Elle est biodégradable et peut alimenter des dispositifs électroniques jetables ainsi que de petits objets connectés. C’est la prouesse que BeFC, une start-up grenobloise issue notamment du Département de chimie moléculaire1 a accompli en concevant une bio-pile (bio-cell) émettant 100 fois moins de dioxyde de carbone qu’une pile bouton classique. Les micro-piles actuelles carburent majoritairement au lithium. 97 % d’entre elles finissent en décharge ou incinérées et génèrent une pollution massive. On en trouve dans les capteurs des emballages de colis, des dispositifs de santé, ainsi que dans de nombreux objets à usage unique.

BeFC propose une alternative écoresponsable pertinente, d’autant plus que le nombre d’objets connectés croît inlassablement et devrait atteindre 30 milliards en 2030. Les bio-piles sont constituées d’un assemblage de couches de papiers cellulose et de carbone, entre lesquelles sont immobilisées des enzymes capables d’oxyder du glucose, puis de réduire de l’oxygène pour produire un courant électrique. Cette innovation multirécompensée, fruit de la recherche académique et de plus de 30 brevets, a levé 3 millions d’euros dès son premier mois d’existence, puis 16 millions en 2023.

Bio-piles développées par la start-up BeFC
Bio-piles développées par la start-up BeFC © BeFC

 

  • 1Unité CNRS/Université Grenoble Alpes.

Le déchet, carburant d’une économie souveraine

Pour Sébastien Lagoutte, responsable de la coopération de filières à la Direction des relations avec les entreprises du CNRS, le recyclage se ne cantonne pas à un procédé ou un unique composant à forte valeur ajoutée, à l’instar des métaux critiques qu’on trouve dans les DEEE. Au contraire, « recycler un objet, c’est recycler tout un produit dans son ensemble », y compris ses composantes les moins rentables. Mais, dès lors, « comment financer le recyclage intégral d’un produit, alors que toutes ses composantes n’ont pas la même valeur ajoutée ? ». Sébastien Lagoutte évoque en ce sens l’exemple récent du projet de recherche « Décontamination et valorisation innovante des plastiques bromés issus des DEEE ». Lancé en octobre 2023, dans le cadre de France 2030, ce projet, piloté par l’entreprise Environnement Recycling, associe nombre d’acteurs publics et privés : outre cette dernière, on compte notamment le groupe industriel Legrand, parmi les leaders mondiaux des produits électroniques, deux centres techniques industriels, trois laboratoires de recherche sous tutelle CNRS… le tout avec le soutien financier de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). Un tel projet a pour ambition de passer d’un déchet dangereux voué à l’incinération, à des coûts très élevé, à de la valorisation matière en mobilisant les connaissances approfondies de la recherche, la volonté d’industriels convaincus et le soutien fort des pouvoirs publics.

Les matériaux, notamment ceux contenus dans les DEEE, « sont plus complexes et hétérogènes qu’on ne le croit », avertit Solène Touzé. Son travail consiste à déterminer la teneur des substances métalliques et minérales d’intérêt dans les déchets, puis à parvenir à les isoler, les purifier, pour enfin les réinjecter dans les processus de fabrication industrielle. Ce procédé d’échantillonnage est d’autant plus difficile que ces DEEE présentent une composition multiple avec des matériaux hybrides, des alliages, ou des usages dispersifs, difficiles à séparer et échantillonner.

Les DEEE ne sont pas les seuls déchets pour lesquels l’échantillonnage est un enjeu majeur. Le secteur de l’emballage (cosmétiques, santé, alimentation) est aussi confronté à des problématiques d’interactions entre des matériaux complexes et leur environnement. Le laboratoire commun IMPaCT, entre l’Institut de science des matériaux de Mulhouse1 et AptarGroup, vise ainsi à formuler de nouveaux emballages plus durables, plus recyclables et biodégradables à destination des cosmétiques, de la santé ou encore de l’alimentaire. Il s’agit d’élucider, de comprendre et de maîtriser les mécanismes d’interaction entre les matériaux et leur environnement. Par ailleurs, la PME Granuloplast a développé en partenariat avec l’Institut PPrime du CNRS, spécialisé en sciences physiques et sciences de l’ingénierie, un nouvel équipement capable de séparer le polypropylène du polyéthylène haute densité, des composés souvent associés dans les objets ménagers et industriels en plastique et que les recycleurs peinaient à trier jusqu’alors. Déjà sur le marché, la start-up MagREEsource (voir encadré) propose de recycler les aimants usagés à partir des déchets électroniques de la mine urbaine.

  • 1Unité CNRS/Université de Haute-Alsace.

MagREEsource  : des aimants stratégiques

Les aimants sont des matières stratégiques qui font partie intégrante de nombreux objets du quotidien : quelques grammes dans nos ordinateurs, quelques kilogrammes dans nos voitures et plusieurs tonnes dans les éoliennes. Mais leur conception reste extrêmement dépendante du quasi-monopole chinois sur les terres rares, des minéraux indispensables à leur fabrication. Face à ce défi, la start-up MagREEsource propose une solution innovante : recycler les aimants usagés à partir des déchets électroniques de la mine urbaine.

Créée en 2020 par Erick Petit et Sophie Rivoirard, alors chercheuse à l’Institut Néel du CNRS, MagREEsource a mis au point un procédé à base d’hydrogène qui permet de récupérer les aimants des équipements électroniques en fin de vie, de les réduire en poudre et de les recomposer en nouveaux aimants. Ce procédé est co-breveté avec le CNRS. La start-up prévoit de produire 50 tonnes d’aimants par an dans son usine pilote de Noyarey, près de Grenoble, avec l’ambition d’atteindre 1 000 tonnes à terme au sein d’une nouvelle MagFactory. MagREEsource s’inscrit dans une démarche d’économie circulaire et vise à renforcer la souveraineté européenne sur les matières stratégiques. Pour cela, la start-up compte sur la coopération des recycleurs et le soutien des politiques publiques.

MagREEsource : poudre recyclée magnétique
MagREEsource : poudre recyclée magnétique © MagREEsource

 

Vers un retour des mines en Europe ?

Porteuse d’espoir pour l’économie circulaire et la souveraineté, la mine urbaine restera cependant insuffisante pour se substituer totalement aux procédés d’extraction minière existants. « Les pays qui détiennent la matière verront la demande augmenter », analyse Stéphane Pellet-Rostaing, et les gisements naturels de métaux stratégiques dont ils disposent garderont un certain moment leur effet « mine d’or ». Un approvisionnement souverain et durable en métaux rares appelle donc une solution en trois volets : exploiter massivement la mine urbaine ; décarboner les processus d’extraction existants ; et, concernant l’Europe, ne pas renoncer aux gisements miniers de métaux et de minéraux dont elle dispose. Cette approche permettra « d’arrêter de nous délester de la responsabilité de l’extractivisme sur d’autres pays du Sud », insiste Stéphane Pellet-Rostaing. C’est pourquoi selon lui, « la réindustrialisation passe notamment par une acceptation sociétale de nouveaux procédés industriels sur nos territoires ».

Jean-Baptiste Bahers insiste de son côté sur l’importance de se questionner en amont sur l’intérêt de ces nouvelles mines et de « remettre en cause l’engrenage productiviste et le techno-solutionnisme du cycle des matières ». Et pour Yann Tastevin, les relocalisations et « la souveraineté industrielle croissante sont des occasions sans pareilles pour repenser la circularité de l’économie et de ses déchets ».

Dans les pays du Sud que Yann Tastevin étudie, l’économie circulaire est une réalité déjà prégnante. Il mobilise l’exemple des filières de récupération de la ferraille au Sénégal où il existe des « réseaux très ramifiés de collecteurs (sondeurs de poubelles), connectés à de nombreux petits centres de tri, qui transmettent ensuite les métaux vers des dépôts de retraitement et des fonderies qui vont revaloriser la matière ». Le chercheur décrit « la vieille Renault 21 » comme l’archétype de cette circularité des déchets : importée d’Europe au début des années 2000, elle a été réparée et utilisée comme taxi pendant des centaines de milliers de kilomètres. Puis elle a été démontée et échantillonnée par des collecteurs, qui ont acheminé la ferraille vers des dépôts de retraitement et des fonderies. « Là, elle est soit réinjectée dans le marché mondial du fer, soit elle reste sur place et entre dans la composition des bétons armés que l’industrie du bâtiment et l’urbanisation galopante de ce pays réclament. »

 

À Dakar, au Sénégal, l’économie circulaire est une réalité : des voitures du monde entier servent de taxis avant d’être démantelées par les ferrailleurs.
À Dakar, au Sénégal, l’économie circulaire est une réalité : des voitures du monde entier servent de taxis avant d’être démantelées par les ferrailleurs. © Giuliano Del Moretto/Shutterstock.com

 

Circulation et traitement du déchet

Cette « économie circulaire du Sud » présente néanmoins deux angles morts : les processus de retraitement polluent massivement sur place ; et ce système est largement dépendant des déchets que produisent et exportent les pays du Nord. Ce qui pose la question de la territorialité du déchet : « quel intérêt y a-t-il à faire du circulaire dans une économie mondialisée  ? », interroge Jean-Baptiste Bahers. Le géographe considère qu’appliquer le principe de proximité à la gestion des déchets pourrait permettre d’éviter certaines des externalités négatives du système actuel, notamment en termes de coûts environnementaux (transports, émanations toxiques des décharges) et de manque à gagner pour l’économie locale.

L’économie circulaire implique donc de la proximité ainsi que de la sobriété dans le mouvement des ressources qui la composent. C’est-à-dire que la production, la transformation, la distribution et la consommation des matières doivent être réduites de concert. « C’est un paradigme qui implique une forme de décroissance matérielle », propose le géographe, puisqu’il suppose d’extraire moins, de produire moins, de faire circuler plus localement et de générer moins de déchets. La cohérence du modèle d’économie circulaire nécessite ainsi de répartir la responsabilité d’un produit et de ses déchets à l’ensemble des acteurs de son cycle de vie. Cette approche suppose d’accélérer l’écoconception des objets comme le suggère Jean-François Gérard, en « pensant recyclage dès l’amont et en anticipant les opérations de démantèlement qui seront nécessaires à séparer les composants, les trier et les remettre dans le cycle de production de futurs équipements ». Il faudrait alors « impliquer les concepteurs, les associations et les collectivités pour identifier les verrous technologiques et sociétaux auxquels nous, scientifiques, devons répondre par des travaux de recherche », poursuit-il.

Et par-delà le recyclage mécanique d’un produit, le recyclage chimique (avec une meilleure extraction des matériaux) pourrait mener à un recyclage « à l’infini ». Des leviers technologiques sont encore à lever et de nombreuses start-up ont investi le sujet. On retrouve par exemple, au sein du laboratoire commun Popba, entre l’Institut de chimie de Clermont-Ferrand1 et le groupe Barbier, des chimistes et des ingénieurs industriels qui mesurent l’impact de contaminants sur le comportement photochimique de films polymères formulés à partir de déchets plastiques recyclés. Dans la même veine, le projet SuperPE, mené conjointement entre plusieurs acteurs dont le laboratoire IMP, le groupe Barbier et le Centre technique industriel de la plasturgie et des composites, avec le soutien de Citeo 2 , ambitionne de préserver la qualité des plastiques alimentaires après le recyclage via un procédé utilisant le CO2 supercritique. Déjà sur le marché, la start-up Recyc’Elit (voir encadré) a mis au point un procédé innovant pour isoler chimiquement le polyester de tout autre matériau fibreux afin de mieux recycler les textiles. Plus généralement, « notre objectif est de déterminer comment mettre la bonne matière au bon endroit et à bon escient », résume le directeur du PEPR. Pour ce faire, les chimistes impliqués proposent des procédés d’extraction de la matière moins polluants, les physiciens développent des méthodes de tri automatique des composés métalliques par rayons X, les géographes réfléchissent à la réduction de la circulation des matières, etc.

La force de tous ces projets réside dans leurs dimensions collaboratives, analyse Solène Touzé : « Nous ne travaillons plus chacun dans notre coin. Les projets du PEPR sont interdisciplinaires et menés entre des laboratoires de tout le pays ». Cela permet d’avoir « une vision globale du cycle de vie des matières » et donnera du poids aux solutions techniques et aux recommandations que les chercheurs formuleront d’ici la fin du programme, en 2030. CNRS Innovation, qui a déjà accompagné de nombreuses start-up dans le domaine du recyclage, ainsi que les Sociétés d’accélération du transfert de technologies suivent de près les avancées des travaux du PEPR pour accompagner la prématuration et la maturation d’innovations susceptibles de rencontrer des marchés.  Une ambition porteuse d’espoir pour l’avènement d’une économie véritablement circulaire et pour une meilleure gestion des déchets, qui commencent à peser lourd sur les épaules de l’humanité.

  • 1Unité CNRS/Université Clermont-Auvergne.
  • 2Le projet regroupe également le groupe Albéa, le Centre technique de la conservation des produits agricoles et le centre d’expertise Innovation Fluides Supercritiques. 

Recyc’Elit détricote les textiles

Chaque année, des millions de tonnes de textiles sont jetés ou incinérés, faute de pouvoir être recyclés. En cause notamment : le caractère multi-matière de ces fibres (mélanges de coton, élasthanne, polyester, etc.), qui rend leur séparation difficile. Recyc’Elit, jeune pousse française, a mis au point un procédé innovant pour isoler chimiquement le polyester de tout autre matériau fibreux, et ainsi réduire l’impact environnemental de l’industrie textile – qui pèse encore pour 11 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales –, mais également valoriser des textiles multi-matière et les transformer en nouveaux produits, comme des fibres ou des films.

Recyc’Elit est née de l’expérience de Raouf Medimagh, chercheur passionné par le recyclage chimique, qui a développé un procédé breveté permettant de dissoudre les polyesters à basse température et basse pression, et de les récupérer sous forme de granulés. Une collaboration avec le laboratoire Ingénierie des matériaux polymères1 et le Laboratoire d’automatique, de génie des procédés et de génie pharmaceutique2 a permis de l’optimiser et d’aider au changement d’échelle en vue de son industrialisation. En industrialisant son procédé, Recyc’Elit souhaite contribuer à l’essor de l’économie circulaire et à la relocalisation des filières de production textile, aujourd’hui majoritairement asiatiques.

  • 1Unité CNRS/Insa Lyon/Université Claude Bernard/Université Jean Monnet.
  • 2Unité CNRS/Université Claude Bernard.