Vox Oceano : un projet art & science pour la conférence internationale @ChangeNow

Entretiens

L'artiste Caroline Desnoëttes a présenté son disque d'algues à l'occasion de @ChangeNow, une rencontre internationale pour la planète qui s’est tenue en mars 2024 à Paris au Grand Palais.

Ce support fragile, éphémère et 100% naturel a été choisi par l’artiste car il évoque les écosystèmes océaniques. Chaque disque, gravé comme un disque microsillon en vinyle classique, nous plonge dans les profondeurs océanes à l’écoute de baleines à bosse, baleines boréales, belugas... Il nous rappelle la relation intime des cétacés avec les algues et la fragilité des écosystèmes marins.

Ainsi, VOX OCEANO invite à une mutation de nos perceptions sonores avec une écoute attentive, rare et précieuse d’un monde sauvage qui l’est tout autant. L’œuvre engage à réfléchir autrement, à l’envers de l’industrie du disque qui cherche la pérennité du son. Elle s’inscrit dans un processus biomimétique d’évolution et de mutation qui fait entendre la vie subaquatique.

VOX OCEANO est le résultat d'une résidence d'artiste de deux ans soutenue par le service culturel de l'Université de Rennes en collaboration avec l’équipe de Jean-Luc Audic, enseignant-chercheur à l'Institut des sciences chimiques de Rennes (Université de Rennes/ CNRS/ ENSC Rennes/ INSA Rennes). Jean-Luc Audic et Caroline Desnoëttes nous racontent leur rencontre.

Jean-Luc Audic – Vous êtes spécialiste des polymères. Pouvez-vous nous en dire plus sur vos axes de recherche ?

Je travaille depuis plusieurs années sur la synthèse et la caractérisation de matériaux innovants biosourcés et/ou biodégradables. Je développe par exemple des applications à partir de polyhydroxyalcanoates (PHA) : ce sont des polyesters obtenus par fermentation bactérienne et il en existe une très grande variété. Ces PHA semblent être une solution d’avenir pour supplanter les plastiques traditionnels pétrosourcés comme le PVC par exemple. Ils présentent le double avantage d’être biosourcés et biodégradables. D’autre part, selon leur composition et leur nature, ils présentent des propriétés ajustables en fonction des caractéristiques requises.

Je travaille par ailleurs sur une autre famille de matériaux découverte par le Pr Leibler dans les années 2010 : les vitrimères. J’élabore ainsi de nouveaux plastiques biosourcés synthétisés majoritairement à partir d’huile végétale et nous avons dernièrement adapté des formulations à la fabrication additive (impression 3D).

J-L. A. - Qu’est-ce qui vous a séduit dans ce projet de disque microsillon en algues, support naturel et éphémère ?

En premier lieu, ce projet s’inscrivait dans mes thématiques de recherche. Mais surtout, c’est la personnalité de Caroline qui m’a convaincue et le discours artistique qui accompagnait le projet. Caroline s’était déjà entourée de nombreuses personnes aux compétences variées comme Oilivier Adam, bioacousticien à Sorbonne Université ou Kévin Cascella, spécialiste des algues à la station Biologique de Roscoff.

Caroline Desnoëttes - Pourquoi avez-vous choisi l’Institut des sciences chimiques de Rennes comme lieu de résidence pour mener à bien votre projet ?

Ce choix s’inscrit dans mon processus de création où je reste très attentive à être la plus cohérente possible avec mes engagements. S’agissant d’une œuvre à portée écologique et compte tenu de ma collaboration avec la Station biologique de Roscoff, j’ai souhaité créer sur le territoire. Pour ce projet, où l’océan est mis à l’honneur sur un support novateur, il était important pour moi de concevoir VOX OCEANO avec des acteurs bretons. Naturellement je me suis tournée vers l’ISCR pour innover avec les algues de la baie de Roscoff. Je dirais aussi que nous nous sommes choisis car il n’y a rien d’évident à une telle rencontre, sinon l’appétit de la recherche et le sens donné à une œuvre. Cette résidence soutenue par le service culturel de l’université de Rennes restera mémorable comme un temps privilégié nourri d’un dialogue constant et innovant entre un scientifique et une artiste.

J-L. A. - De quelle manière s’est inséré ce projet de l’artiste dans vos travaux de recherche en cours ?

Si les demandes de Caroline concernaient au départ exclusivement la fabrication d’un disque à base d’algue, j’étais un peu sceptique sur la possibilité d’obtenir une restitution sonore correcte avec ce type de matériaux. J’ai donc exploré en parallèle le potentiel des vitrimères et des polyhydroxyalcanoates dans la fabrication de disques microsillon, que ce soit par pressage ou par gravure directe. Nous avons travaillé pour cela avec deux partenaires principaux : MPO, leader dans le domaine du pressage de vinyle, et Discomaton, qui réalise la gravure de petites et moyennes séries. Nous avons pu, en lien avec le projet de Caroline, étudier de nombreuses formulations dans le but de proposer des matériaux biosourcés adaptés à la fabrication de disques audio selon le procédé industriel. Il faut souligner qu’à l’heure actuelle, les disques vinyles sont fabriqués à partir de PVC, un polymère halogéné pétrosourcé dont la combustion dégage des composés toxiques. Les disques développés dans le cadre de ce projet présentent de bonnes caractéristiques et permettent de restituer correctement le son. Ils pourraient être proposés dans un avenir proche pour la fabrication d’une nouvelle gamme de disques microsillon plus respectueux de l’environnement.

C. D. – Ce projet, vous en rêviez depuis trois ans. Au-delà de la preuve de concept et la réalisation de l’objet, que vous a apporté cette immersion dans le monde de la recherche scientifique ?

Cette immersion a été des plus naturelles, j’ai grandi dans une famille de chercheurs, mon père était médecin physiologiste et mon grand-père physicien, François Canac, a fondé le premier laboratoire propre du CNRS en province à Marseille, le Laboratoire de mécanique et d’acoustique (qui existe toujours !). La recherche scientifique est un domaine qui m’enchante et me fascine depuis ma plus tendre enfance. J’aime travailler avec des scientifiques et je collabore avec eux depuis plusieurs années. Je suis très reconnaissance envers Jean-Luc de m’avoir ouvert les portes de son labo. L’algue n’était pas sa matière de prédilection mais il avait comme moi une forte envie d’innovation ! L’immersion dans le monde de la recherche à l’ISCR a été un nouveau vocabulaire de fonds et de formes dans une ambiance estudiantine dynamique. Singulièrement pour VOX OCEANO, je me suis senti un peu chercheuse combinant rigueur et fantaisie, palliasse, balance, spatule, blouse, gant de chauffe, presse hydraulique, plaque de métal, mélangeur, écran, cadran, courbes, températures, données, poids, mesures, notes, doutes, ratages et réussites. Mon travail artistique est une recherche permanente et lors de cette résidence j’ai appris à créer avec de nouveaux outils, de nouvelles matières. Ce temps long de la recherche scientifique est celui de la découverte, de la satisfaction de voir son intuition première se réaliser à force de tests et de détermination.

 

* Jean-Luc Audic donnera une micro-conférence à Roscoff le 21 juin 2024 dans le cadre des Echappées inattendues, sur le thème "Laissez-vous surprendre par les algues". Toutes les informations sont sur le site des Echappées inattendues.

 

Rédacteur : CCdM

© Discomaton

Contact

Jean-Luc Audic
Enseignant-chercheur à l’Institut des sciences chimiques de Rennes (CNRS/Université de Rennes/ENSC Rennes/INSA Rennes)
Caroline Denoëttes
Artiste
Communication CNRS Chimie