Une nouvelle manière d’imposer aux machines moléculaires un mouvement unidirectionnel
Certaines protéines comme la kinésine ou l’ATP-synthase sont de véritables machines moléculaires qui ont la particularité de se déplacer dans une seule direction. Mais contrôler la direction du mouvement pour des systèmes synthétiques de ce type reste encore très complexe. Les scientifiques de l’Institut parisien de chimie moléculaire (CNRS/Sorbonne Université) sont parvenus à induire un mouvement linéaire unidirectionnel de la cyclodextrine, une molécule cyclique naturelle, en utilisant sa forme conique comme cliquet pour empêcher le mouvement de s’inverser.
Une protéine qui marche sur un fil, une autre qui tourne sur son axe, toutes deux dans une seule direction, ce sont la kinésine et l'ATP-synthase. Ces protéines essentielles à la vie sont remarquables par leur capacité à se déplacer de manière unidirectionnelle. Fascinés par cette capacité de la nature à construire ces machines moléculaires* et inspirés par le défi lancé par Richard Feynman en 1959 dans sa conférence, désormais classique à CalTech, "There's Plenty of Room at the Botttom", de construire des "machines minuscules avec des parties mobiles", les chimistes ont entrepris de concevoir de telles engins moléculaires synthétiques. De nombreux types de machines ont ainsi été réalisées : pompes, rotors, muscles, marcheurs, navettes, interrupteurs... qui offrent des perspectives en nanotechnologie (composants électroniques miniatures) et nanomédecine. Ce domaine a d’ailleurs été récompensé en 2016 par le prix Nobel de chimie pour ses pionniers : J. P. Sauvage, F. Stoddard et B. Ferringa.
Jusqu’à maintenant, très peu de moteurs à mouvement unidirectionnel ont été synthétisés. En effet, le sens unique du mouvement est assuré par un mécanisme s’apparentant à celui d’un cliquet qui empêche le retour en arrière d’un mouvement au départ aléatoire. Or il n’est physiquement pas possible de réaliser un tel cliquet mécanique à l’échelle moléculaire.
Pour contourner cet obstacle, il est donc crucial de développer des cliquets d’un autre type dits « d'information », qui transmettent une information de nature chimique à la partie mobile pour lui imposer une direction. Dans un article publié dans la revue Chem (CellPress), les scientifiques de l’Institut parisien de chimie moléculaire (CNRS/Sorbonne Université) décrivent comment, grâce à la structure particulière de la cyclodextrine**, ils sont parvenus à établir un nouveau type de cliquet. Ils montrent que sa nature chirale, sa forme conique et son orientation par rapport à l’axe sur lequel elle est enfilée, génèrent une asymétrie qui joue le rôle de cliquet d’information et amène son mouvement de translation à ne s’effectuer que dans un sens. Cette propriété pourrait être utilisée pour la réalisation de moteurs moléculaires pouvant par exemple transporter des molécules d’intérêt en milieu biologique d’un point à un autre.
* Assemblage de composants moléculaires conçu pour effectuer des mouvements comme une machine sous l'effet d'un stimulus extérieur et via un apport d'énergie.
** Les cyclodextrines sont des molécules naturelles, chirales et coniques couramment utilisées comme excipient de formulation dans les médicaments car elles peuvent encapsuler des principes actifs sensibles ou très réactifs pour les protéger ou de les stabiliser.
Rédacteur : CCdM
Référence
Enxu Liu, Sawsen Cherraben, Laora Boulo, Claire Troufflard, Bernold Hasenknopf, Guillaume Vives & Matthieu Sollogoub
A molecular information ratchet using a cone-shaped macrocycle
Chem. 2023