Un effet mémoire exceptionnel dans des gels polymères thermosensibles à base de proline

Résultats scientifiques

La polyproline est un polymère synthétique obtenu par homopolymérisation de la proline, un acide aminé qui entre dans la formation des protéines. Des chimistes du LCPO (CNRS/Institut polytechnique de Bordeaux/Université de Bordeaux) en ont étudié le comportement en solution dans l’eau. Totalement hydrosoluble, ce polymère s’agrège au-dessus d’une température critique et forme un gel. Étonnamment, cette transition de phase présente une énorme hystérèse qui confère à ces gels un effet mémoire exceptionnel. Ces résultats, à retrouver dans la revue Angewandte Chemie International Edition, ouvrent de nombreuses perspectives au développement de matériaux thermosensibles et biocompatibles.

La proline est un acide aminé protéinogène particulier qui contient un atome d’azote très encombré par rapport aux autres acides aminés. Cet encombrement fait que les enchaînements de proline dans des peptides ou sections de protéines forment des structures en hélices rigides bien spécifiques qui jouent un rôle important dans de nombreuses fonctions biologiques. Depuis longtemps, des scientifiques cherchent à synthétiser des macromolécules à base de proline pour exploiter leurs structures originales et les utiliser comme gels thermosensibles ou agents antigel pour la conservation de cultures cellulaires ou l’industrie agro-alimentaire. Le fort encombrement spatial de cet acide aminé rend cependant son homopolymérisation très complexe et longtemps restreinte à la formation de courtes chaînes. Les progrès en polymérisation par ouverture de cycle ont récemment ouvert la voie à l’obtention de longues chaînes de polyproline dans des conditions douces, dont les propriétés d’auto-assemblage peuvent enfin être élucidées. Ceci, d’une part pour mieux comprendre les rôles biophysiques et biologiques des sections peptidiques de proline dans les protéines, mais aussi pour pleinement déployer le potentiel d’application des matériaux fonctionnels à base de proline.

Dans ce contexte, des chimistes du Laboratoire de chimie des polymères organiques (CNRS/Institut polytechnique de Bordeaux/Université de Bordeaux) ont préparé de longues chaînes de polymère à base de L-proline, la forme gauche de la proline, par polymérisation par ouverture de cycle dans l’eau. Ils ont ensuite étudié le comportement de ce polypeptide dans l’eau en fonction de la température. A basse température, les macromolécules sont totalement solubles à toutes les concentrations. Lorsque l’on chauffe l’eau, elles adoptent une structure secondaire en hélices qui s’agrègent et la solution devient trouble. La température à laquelle cette transition se produit est fonction de la longueur de la chaîne peptidique, mais dépend peu de la concentration dans l’eau. Etonnamment, lorsqu’on abaisse la température, la solution présente une forte hystérèse et le polymère reste agrégé plusieurs dizaines de degrés en deçà de la température de transition. L’explication moléculaire de cet effet mémoire réside dans les changements de conformation de la proline avec la température. Ce comportement, jamais observé jusqu’ici pour un simple homopolymère de synthèse, ouvre de nombreuses perspectives d’applications biomimétiques contrôlées par la température ou les pH, comme des thermomètres à mémoire, l’encapsulation et le relargage de médicaments, etc. Ces résultats ont fait l’objet d’une demande de brevet et sont à retrouver dans la revue Angewandte Chemie International Edition.

A. Transmittance d’une solution de polyproline pendant un cycle de chauffage et refroidissement. Au-delà de 70°C (ligne rouge), le polymère s’agrège et la solution devient turbide. La polyproline reste insoluble en refroidissant jusqu’en-dessous de 20°C (ligne bleue). B. Structures secondaires de polyproline: l’hélice dense de PLPI est insoluble dans l’eau, tandis que l’hélice plus ouverte de PLP II est soluble. © Colin Bonduelle

Référence

Memory Effect in Thermoresponsive Proline-based Polymers

Mostafa Badreldin,Rosanna Le Scouarnec,Sebastien Lecommandoux,Simon Harrisson,Colin Bonduelle Angewandte Chemie International Edition, 15 Septembre 2022.

https://doi.org/10.1002/anie.202209530

Contact

Colin Bonduelle
Chercheur, Laboratoire de chimie des polymères organiques (LCPO, CNRS/Université de Bordeaux/Bordeaux INP)
Simon Harrisson
Chercheur au Laboratoire de chimie des polymères organiques (CNRS/Université de Bordeaux/ENSCBP)
Christophe Cartier dit Moulin
Chercheur à l'Institut parisien de chimie moléculaire & Chargé de mission pour la communication scientifique de l'INC
Stéphanie Younès
Responsable Communication - Institut de chimie du CNRS
Anne-Valérie Ruzette
Chargée scientifique pour la communication - Institut de chimie du CNRS