Trois questions à Pierre Audebert et Laurent Galmiche sur la chimie des empreintes digitales

Entretiens

Popularisée par de nombreuses séries policières, la science forensique ou criminalistique couvre l’usage de méthodes scientifiques pour débusquer des preuves. Auteurs du chapitre « la fluorescence au service de la police scientifique » du livre Étonnante Chimie, Pierre Audebert et Laurent Galmiche, respectivement professeur et ingénieur de recherche à l’ENS Paris-Saclay et tous deux membres du laboratoire Photophysique et photochimie supramoléculaires et macromoléculaires (PPSM, CNRS/ENS-Paris Saclay), nous expliquent comment ils ont développé un révélateur d’empreintes digitales utilisé partout dans le monde. Le 17 mai dernier, Laurent Galmiche racontait cette chimie à des élèves de 1ère et Terminale de l'Académie de Versailles.

Comment avez-vous commencé à travailler avec les sections scientifiques de la police et de la gendarmerie ?

Pierre Audebert – Un de mes anciens doctorants, embauché dans la police nationale, m’avait contacté car son supérieur cherchait de nouveaux colorants pour dévoiler les empreintes digitales invisibles à l’œil nu, ou présentes sur des surfaces d’une même couleur que l’agent révélateur. Alors que je n’avais jamais mis les pieds dans un laboratoire de la police scientifique, j’y suis allé avec deux échantillons conçus par mon équipe. J’ai lancé une expérience et ça a marché le jour même.

Laurent Galmiche - Cela a tellement bien fonctionné que nous avons été contactés par un ancien technicien de la Police scientifique qui venait de créer une start-up : Crime Science Technology.

Quelles sont vos principales réalisations dans le domaine forensique ?

Pierre Audebert – Avant, la révélation des empreintes les plus discrètes se faisait en deux étapes. On plaçait l’objet dans une enceinte où du cyanoacrylate, la même molécule que la superglue, était vaporisé sur sa surface pour former un solide blanc au niveau de la trace de doigts. Les contrastes n’étant parfois pas suffisants, il fallait ensuite l’asperger avec une solution d’un composé fluorescent pour que l’empreinte soit exploitable.

Avec la société CST (Crime Science Technology), nous avons développé le Lumicyano™. C’est le nom commercial d’une molécule, de la famille des tétrazines, qui se mélange directement au cyanoacrylate avant sa vaporisation. Après révélation de l’empreinte digitale et si le support est blanc comme le cyanoacrylate, un coup de lampe UV fait briller l’empreinte en jaune pour la rendre plus visible. Avec une étape en moins pour les techniciens, le Lumicyano™ s’est très vite imposé auprès de la police et de la gendarmerie françaises ainsi qu’à l’international.

Laurent Galmiche – Nous avons depuis lancé le projet ANR CYANOSPRAY en collaboration avec le SNPS[1] et l’IRCGN[2]. Nous voulons remplacer l’étape de vaporisation du Lumicyano™, qui ne peut se faire qu’en laboratoire dans un équipement dédié, par la pulvérisation d’une solution de bore-dipyrrométhene (bodipy), un colorant dit π-conjugué qui compte parmi les molécules à la plus intense fluorescence connue. À terme, nous voulons que les techniciens de terrain disposent d’un spray pour traiter de grandes surfaces, directement sur les scènes de crime.

Pour un chimiste, quelles sont les spécificités du travail avec la police scientifique ?

Pierre Audebert – La justice est un environnement complexe, il est facile d’oublier des lois et leurs détails. Des innovations ont dû être abandonnées dans certains pays, car elles étaient trop difficiles à mettre en place en accord avec la réglementation.

Laurent Galmiche – Les nouvelles méthodes doivent s’insérer dans toute une chaîne de révélation des preuves. On ne peut par exemple pas badigeonner un produit sur des empreintes s’il perturbe les analyses ADN. Et on ne change pas comme ça les protocoles, qui ne doivent pas être plus compliqués que les précédents.

Le Lumicyano™ offre le gros avantage de ne pas modifier la température de chauffage du cyanoacrylate, ce qui fait que les techniciens n’ont pas besoin de nouvelles habilitations pour le manipuler et il n’est pas nécessaire de modifier les équipements existants. Enfin, les méthodes et les produits doivent être absolument inattaquables par des avocats lors d’un procès, sinon tout le travail aura été mené pour rien. Nous devons donc nous assurer que les procédés sont parfaitement fiables et reproductibles.

Lors d'une cérémonie organisée le 17 mai dernier à l'Académie des Sciences dans le cadre du partenariat "Etonnante chimie pour un grand ral percutant", tissé entre le ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports et le CNRS, Laurent Galmiche racontait cette chimie à des élèves de 1ère et Terminale qui suivent l'enseignement de spécialité physique-chimie.

[1] Service national de police scientifique.

[2] Institut de recherche criminelle de la Gendarmerie nationale.

Contact

Laurent Galmiche
Ingénieur de recherche au laboratoire Photophysique et photochimie supramoléculaires et macromoléculaires (CNRS/ENS-Paris Saclay)
Pierre Audebert
Professeur à l'ENS Paris-Saclay et chercheur au laboratoire Photophysique et photochimie supramoléculaires et macromoléculaires (CNRS/ENS-Paris Saclay)
Christophe Cartier dit Moulin
Chercheur à l'Institut parisien de chimie moléculaire & Chargé de mission pour la communication scientifique de l'INC
Stéphanie Younès
Responsable Communication - Institut de chimie du CNRS
Anne-Valérie Ruzette
Chargée scientifique pour la communication - Institut de chimie du CNRS