Thermoélectricité : un rendement record pour des matériaux semi-conducteurs polymères dopés
Les matériaux thermoélectriques permettent de récupérer de la chaleur inutilisée pour produire de l’électricité. Leurs versions semi-conductrices polymères présentent une souplesse et une légèreté qui leur offrent la possibilité d’être déployées dans de nombreux milieux, mais elles ne conduisent pas suffisamment les électrons. Des équipes de scientifiques de l’ICPEES (CNRS/Université de Strasbourg), de l’ICS (CNRS) et de l’IPCMS (CNRS/Université de Strasbourg) et de l’Université de la Sarre (Allemagne) sont cependant parvenues à établir un nouveau record de performances thermoélectriques pour ces matériaux. Leurs résultats sont publiés dans la revue Advanced Energy Materials.
Il y a exactement 200 ans, le physicien allemand Thomas Johann Seebeck montrait que certains matériaux soumis à un gradient de température génèrent des courants électriques. Ce phénomène est exploité dans les matériaux thermoélectriques qui permettent, par exemple, de transformer l’énergie perdue sous forme de chaleur, comme dans un moteur ou des plaquettes de frein, en courant électrique pour alimenter des équipements électroniques et des capteurs. Pour bien fonctionner, ces matériaux doivent présenter une faible conductivité thermique, pour conserver le gradient de température, et une forte conductivité électrique, afin de transporter les charges électriques. Les matériaux thermoélectriques usuels sont principalement des matériaux semi-conducteurs inorganiques, mais certains chercheurs s’intéressent depuis une dizaine d’années aussi aux semi-conducteurs polymères. Ces derniers présentent une meilleure flexibilité mécanique, un poids bien plus léger, de faibles conductions thermiques intrinsèques, et fonctionnent à des températures proches de l’ambiante. À l’inverse, ils pêchent souvent par leur faible conductivité électrique, un problème qui peut être partiellement résolu en dopant ces matériaux avec d’autres molécules. Une collaboration du consortium d’électronique organique de Strasbourg, regroupant l’Institut de chimie et procédés pour l’énergie, l’environnement et la santé (ICPEES, CNRS/Université de Strasbourg), l’Institut Charles Sadron (ICS, CNRS), l’Université de la Sarre (Allemagne), l’Institut de physique et chimie des matériaux de Strasbourg (IPCMS, CNRS/Université de Strasbourg) et l’Université de la Sarre (Allemagne) a permis de battre un nouveau record de performances thermoélectriques. Avec près de 3 mW m-1 K-2, ils font moitié mieux que le précédent record, que le groupe strasbourgeois détenait déjà, et quinze fois mieux que les systèmes organiques équivalents les plus performants.
L’équipe a développé un polymère thermoélectrique constitué de chaînes latérales carbonées incluant une fonction éther unique : elles permettent de conserver une structuration optimale à l’état solide du polymère semi-conducteur, tout en améliorant sa miscibilité avec les molécules oxydantes polaires utilisées comme dopant. Le dopage permet de générer de nombreuses charges électriques dans le matériau et d’en augmenter considérablement la conductivité. Une fois ce polymère déposé sous forme de films minces, la seconde innovation consiste à littéralement brosser les films afin d’orienter les chaînes de polymère dans la même direction. Cette disposition augmente leur conductivité électrique dans la direction du brossage, mais sans modifier fortement les autres propriétés, ce qui permet à ces matériaux d’atteindre de très hautes performances thermoélectriques. Ces polymères sont potentiellement d’un grand intérêt dans la conception de transistors électrochimiques, composants de base des capteurs bioélectroniques.
Référence
Pablo Durand, Huiyan Zeng, Till Biskup, Vishnu Vijayakumar, Viktoriia Untilova, Céline Kiefer, Benoît Heinrich, Laurent Herrmann, Martin Brinkmann & Nicolas Leclerc
Single Ether-Based Side Chains in Conjugated Polymers: Toward Power Factors of 2.9 mW m-1 K-2
Adv. Energy Mater. 2022