Résoudre les problèmes d’eau potable : une approche biomimétique

Résultats scientifiques

Ressource essentielle, l’eau manque sur notre planète pourtant bleue. Le traitement de l’eau, et en particulier sa désalinisation, est un enjeu sociétal majeur sur lequel se penchent nombre de scientifiques et industriels. Dans ce contexte, la quête d’une membrane de filtration idéale, à la fois perméable et parfaitement sélective, pourrait bien aboutir grâce aux recherches émanant d’une collaboration entre chimistes du CNRS et de l’Université de Kyoto. Dans une série d’articles récemment publiés dans Angewandte Chemie International Edition, les chercheurs nous livrent les secrets et l’avenir très prometteur de membranes artificielles biomimétiques pour la production d’or bleu à bas coût énergétique.

Si elle est majoritairement composée d’eau, la Terre n’offre que 2.5 % d’eau douce et consommable, dont seulement 0.7 % accessible en surface. Bien que théoriquement suffisante, cette eau est inégalement répartie sur le globe et ne profite pas à tous. La désalinisation quotidienne de plus de 100 millions de m3 d’eau de mer et océan, principalement par osmose inverse sous pression, vient partiellement pallier ce problème. Cette technologie consiste à forcer l’eau à travers une membrane perméable mais sélective qui retient les ions et livre une eau dessalée à 99%, non sans coût énergétique et impact écologique. Pour rendre ce procédé moins énergivore, il faut se tourner vers de nouvelles stratégies qui permettraient d’augmenter la perméabilité tout en conservant la sélectivité. C’est dans ce but que de nombreux scientifiques se sont penchés sur l’élaboration de membranes artificielles dont le fonctionnement imiterait celui des membranes cellulaires.1 Dans les organismes vivants, les transferts de molécules de part et d’autre de cette membrane se produit en effet de manière très sélective et efficace à travers des canaux protéiques bien spécifiques. L'eau est par exemple acheminée le long de canaux appelés aquaporines qui rejettent parfaitement les ions. Serait-il possible de transposer ce fonctionnement à l’échelle d’un matériau ? Les chercheurs de l’IEM (CNRS/ENSC Montpellier/Université de Montpellier), en collaboration avec des théoriciens du LBT (CNRS/Université de Paris) et une équipe japonaise de l’université de Kyoto, ont ainsi cherché à créer des canaux artificiels aussi efficaces que les protéines dans des membranes synthétiques.

Une des solutions retenues sont les pillar[5]arènes, macrocycles organiques qui, lorsqu’on leur ajoute des groupements fonctionnels bien choisis, génèrent des architectures tubulaires qui peuvent traverser la membrane comme les canaux protéiques. Malheureusement, le diamètre constant de 5 Å de ces tubes est relativement grand pour atteindre la sélectivité eau versus ions désirée à l’échelle moléculaire. Une des études récemment publiées montre que faire varier le diamètre en introduisant des rétrécissements le long du tube conduit à la formation des véritables filtres qui apportent un gain énorme en sélectivité sans nuire à la perméabilité de l’eau.2 Une autre propriété très intéressante des protéines membranaires est leur réponse à divers stimuli autres que la concentration chimique, notamment l’acidité - la valeur du pH - ou la tension électrique. Dans une seconde étude, les chercheurs ont mis en évidence une possibilité similaire de contrôler les propriétés de transport pour des canaux artificiels construits par auto-assemblage de plus petites molécules que les pillar[5]arènes.3 Ils ont ainsi pu montrer qu’il est possible de transporter sélectivement l’eau et un seul type d’ion, ici des ions chlorure (Cl-), en jouant sur le pH. La consolidation de ces résultats et la compréhension de ces systèmes a récemment permis aux chercheurs de mettre au point la première membrane de désalinisation de l’eau à comportement biomimétique dont les propriétés en condition d’utilisation surpassent celles des membranes industrielles utilisées aujourd’hui.4

Rédacteur: AVR

Pillar[5]arènes tubulaires rétrécis pour une sélectivité optimale (gauche) et co-transport d’eau et d’ions chlorure dans des membranes auto-assemblées (droite). © Mihail Barboiu

Référence

  1. Self-Assembled Artificial Ion-Channels toward Natural Selection of Functions. Shao-Ping Zheng, Li-Bo Huang, Zhanhu Sun, et Mihail Barboiu, Angew. Chem. Int. Ed. 25 septembre 2020.

https://doi.org/10.1002/anie.201915287

 

  1. Biomimetic Approach for Highly Selective Artificial Water Channels Based on Tubular Pillar[5]arene Dimers Dmytro Strilets. Shixin Fa, Arthur Hardiagon, Marc Baaden, Tomoki Ogoshie et Mihail Barboiu, Angew. Chem. Int. Ed. 2020, 9 septembre 2020.

https://doi.org/10.1002/ange.202009219

 

  1. A Voltage-Responsive Synthetic Cl-Channel Regulated by pH. Shao-Ping Zheng, Ji-Jun Jiang, Arie van der Lee, and Mihail Barboiu, Angew. Chem. Int. Ed. 2020, 21 août 2020.

https://doi.org/10.1002/anie.202008393

  1. Une membrane biomimétique pour la désalinisation de l’eau de mer à l’échelle industrielle | CNRS

Contact

Mihail Barboiu
chercheur, Institut européen des membranes (CNRS/Université de Montpellier)
Stéphanie Younès
Responsable Communication - Institut de chimie du CNRS
Christophe Cartier dit Moulin
Chercheur à l'Institut parisien de chimie moléculaire & Chargé de mission pour la communication scientifique de l'INC
Anne-Valérie Ruzette
Chargée scientifique pour la communication - Institut de chimie du CNRS