Quelle énergie pour retourner un aimant en quelques picosecondes ?

Résultats scientifiques

S’il est désormais possible de retourner l’aimantation d’une couche de cobalt avec une impulsion électrique de seulement six picosecondes, soit six millièmes de milliardième de seconde, la physique du phénomène reste difficile d’accès. Des chercheurs de l’Institut Jean Lamour, de l’institut IMDEA Nanociencia (Espagne) et du Centre de nanosciences et de nanotechnologies ont mesuré pour la première fois l’énergie nécessaire à un tel retournement. Ces travaux sont parus dans la revue Nature Nanotechnology.

Le spin est une valeur quantique de l’électron à laquelle un petit moment magnétique est associé, dont l’utilisation pourrait servir, à terme, à une électronique alternative plus frugale en énergie. Sa manipulation est possible avec des impulsions de courants atteignant le régime térahertz, c’est-à-dire avec des durées de l’ordre de la picoseconde (un millième de milliardième de seconde). En effet, des chercheurs sont déjà parvenus à inverser l’aimantation d’une couche de cobalt avec des impulsions de six picosecondes, mais sans en comprendre toutes les implications physiques. Une partie de ces scientifiques, au sein d’une équipe de chercheurs de l’Institut Jean Lamour (IJL, CNRS/Univ. Lorraine), de l’Institut madrilène d’études avancées en nanoscience (IMDEA Nanociencia, Espagne) et du Centre de nanosciences et de nanotechnologies (C2N, CNRS/Univ. Paris-Saclay), viennent de mesurer l’énergie nécessaire pour obtenir ce renversement aussi rapide de l’aimantation. Ils ont également montré que, contrairement à ce qui était attendu, plus l’impulsion est brève et plus le phénomène est efficace d’un point de vue énergétique.

Pour cela, les chercheurs ont utilisé un commutateur optoélectronique qui laisse seulement passer un courant électrique suite à une illumination laser. Avec un laser femtoseconde, il est possible d’envoyer des signaux extrêmement courts. Des guides d’ondes amènent et focalisent l’impulsion électrique sur un aimant de seulement quelques micromètres de large, à base de plusieurs couches de cobalt ainsi que de platine ou de tantale, ces dernières étant utilisés pour convertir le courant électrique dans un courant dit de spin, c’est-à-dire une sorte de courant aimanté. Dans la littérature, la plupart des mécanismes de retournement de l’aimantation ne sont pas cohérents, c’est-à-dire qu’une partie de l’échantillon inverse son magnétisme avant le reste en formant des sortes de bulles magnétiques. L’énergie apportée sert alors à déplacer la paroi de ces bulles pour qu’elle englobe toute la surface du matériau. Du coup, plus l’impulsion est rapide et plus elle doit fournir d’énergie pour étendre la bulle sur une même surface. Or ce n’est pas ce qui est constaté ici. Avec des impulsions aussi brèves, en dessous de la nanoseconde, le magnétisme se retourne d’un seul coup sur toute la surface de l’aimant. Plus l’on va vite, et plus l’inversion est cohérente et efficace en énergie. Un résultat qui a été confirmé sur une plage de sept ordres de grandeur de durée d’impulsion. Les chercheurs comptent à présent vérifier le rôle de la taille de l’aimant sur le mécanisme de retournement, en particulier sur des systèmes trop petits pour être scrutés par des microscopes optiques.

Rédacteur : MK

Référence

Eva Díaz, Alberto Anadón, Pablo Olleros-Rodríguez, Harjinder Singh, Héloïse Damas, Paolo Perna, Martina Morassi, Aristide Lemaître, Michel Hehn & Jon Gorchon
Energy-efficient picosecond spin–orbit torque magnetization switching in ferro- and ferrimagnetic films
Nature Nanotechnology, 2024
https://doi.org/10.1038/s41565-024-01788-x 

Configuration de l’injection et de la mesure d’impulsions picoseconde que des guides d’ondes en or transmettent à l’échantillon magnétique. Une sonde (Vb, couleur cuivrée) maintient le contact électrique avec les guides d’ondes et ainsi que la polarisation du courant. Les lasers (faisceaux rouges) irradient les commutateurs pour générer l’impulsion de courant (onde verte). L’ombre rouge sur la partie dorée représente la position de l’aimant. © Díaz et al.

Contact

Jon Gorchon
Chercheur à l'Institut Jean Lamour (CNRS/Université de Lorraine)
Communication CNRS Chimie