Quand les matériaux passent de l'isolant au métal sous excitation lumineuse

Résultats scientifiques

Une équipe internationale de scientifiques a découvert que les ondes de déformation générées par des impulsions lumineuses peuvent transformer un matériau isolant en un métal à une vitesse extrêmement rapide. Ce mécanisme a été observé dans un film mince d’oxyde de vanadium. Une découverte, publiée dans la revue Nature Physics, qui pourrait conduire à des percées majeures dans le monde de l’électronique ultrarapide.

Et s’il était possible de changer la nature d'un matériau en un éclair, le faisant passer d'isolant à métal en une fraction de seconde ? C’est le tour de force qu'ont réussi des chimistes et physiciens du CNRS et du Japon dans le cadre du Laboratoire de recherche international DYNACOM. Ils ont pour cela exploité les propriétés remarquables d’un isolant dit "de Mott". Le caractère isolant de ces matériaux ne provient pas de l’absence de porteurs de charges électriques, comme c'est le cas dans les isolants conventionnels, mais bien de leur manque de mobilité à cause des interactions répulsives entre électrons. Bien que théoriquement conducteurs, ces matériaux se comportent donc comme des isolants électriques. 

Le sesquioxyde de vanadium, V2O3, est un exemple classique d’isolant de Mott. Lorsqu’on le refroidit, il présente une transition spectaculaire entre deux états : métallique à température ambiante, il devient isolant à basse température, où ses électrons sont bloqués par leurs interactions. Une équipe de scientifiques français et japonais a utilisé des impulsions lumineuses ultracourtes (100 femtosecondes ; 1 fs = 10-15 s) pour déclencher un passage ultrarapide de l’état isolant à métallique dans un film mince de V2O3. Ce phénomène repose sur la propagation d’ondes de déformation générées par les impulsions lumineuses et qui se déplacent à la vitesse du son à travers le matériau. Ces ondes bouleversent l'organisation des électrons et des atomes et provoquent un changement d’état. Ce qui est fascinant, c’est que ce processus n’est pas de nature thermique, mais agit de manière plus subtile en modifiant directement la structure du matériau. Grâce à des expériences résolues en temps de diffraction des rayons X et de spectroscopie optique, les scientifiques ont observé que cette transformation est pilotée par un passage à une structure cristalline de symétrie plus simple et par une contraction du volume. Autrement dit, le matériau ne devient métallique que lorsque sa structure a été modifiée. 

Les perspectives qu’offrent ces résultats sont nombreuses. Comprendre et contrôler ces transitions ultrarapides pourrait ouvrir la voie à des dispositifs capables de commuter entre différents états à une vitesse inégalée, avec des applications potentielles dans le stockage de l’information et l’intelligence artificielle basée sur la physique des isolants de Mott. Cette étude dévoile ainsi une nouvelle facette des matériaux de Mott et des transitions de phase, où les ondes élastiques jouent un rôle clé dans la transformation des propriétés électroniques. Des résultats à découvrir dans la revue Nature Physics.

Rédacteur : AVR

Référence

Propagation of insulator-to-metal transition driven by photoinduced strain waves in a Mott material
T.Amano et al.
Nature Physics 2024
https://doi.org/10.1038/s41567-024-02628-4

Représentation schématique du mécanisme de propagation d’une transition de phase ultrarapide à la vitesse du son. De gauche à droite : photo-excitation initiale (a) induisant une pression négative interne (b) et propagation de la transformation électronique dans le sillage d'un front d'onde de déformation compressive (c) © Etienne Janod
Vue artistique du diagramme de phase du matériau Mott V2O3, mettant en évidence son état isolant initial (en bleu) avant sa photoexcitation par un laser ultrarapide, le poussant vers un état métallique (en jaune) à travers un mécanisme d’onde de déformation © Tatsuya Amano

Contact

Etienne Janod
Chercheur à l'Institut des matériaux de Nantes (CNRS/Nantes Université) et l'IRL DYNACOM (CNRS/Université de Rennes/Université de Tokyo)
Maciej Lorenc
Chercheur à l’Institut de physique de Rennes (CNRS/Université de Rennes) et l’IRL DYNACOM (CNRS/Université de Rennes/Université de Tokyo)
Communication CNRS Chimie