Quand des gouttes pulsent en dessinant des fleurs

Résultats scientifiques Instruments et analyse

Comment une goutte d’huile évolue-t-elle lorsqu’on la pose sur de l’eau ? Le plus souvent elle s’étale. Elle peut aussi, de par ses propriétés chimiques, modifier ultérieurement la surface de l’eau, adoptant alors des comportements inattendus. Des chimistes du laboratoire des IMRCP 1  (CNRS / UT3 Paul Sabatier) et des hydrodynamiciens de l’IMFT 2   (CNRS / Toulouse INP / UT3 Paul Sabatier) ont découvert et expliqué l’évolution spectaculaire et particulièrement esthétique d’une goutte de dichlorométhane, un solvant très commun, obtenue en ajoutant dans l’eau et dans la goutte une faible quantité d’un même agent tensioactif. Les résultats de leur recherche, qui pourraient contribuer à améliorer l’efficacité des techniques de ciblage thérapeutique, sont publiés le 26 février 2018 dans Nature Communications.

  • 1Interactions Moléculaires et Réactivité Chimique et Photochimique
  • 2Institut de Mécanique des Fluides de Toulouse

Carlo Marangoni a établi en 1865 qu’une goutte déposée sur une surface d’eau s’étale si la tension de surface entre l’eau et l’air excède la somme des tensions de surface goutte/air et goutte/eau. Conformément à ce critère, la goutte de dichlorométhane commence par s’étaler et un film circulaire en expansion se forme autour d’elle. Le dichlorométhane étant très volatil, ce film tend à s’évaporer et un bourrelet se forme à sa périphérie. Des déformations apparaissent progressivement sur ce bourrelet qui finit par se fragmenter, générant un anneau de gouttelettes. L’histoire pourrait s’arrêter après cet événement déjà inhabituel. Mais dans le cas présent, le dichlorométhane dispersé à la surface de l’eau lors du détachement des gouttelettes modifie la capacité d’étalement du système et le film se rétracte.

Fin de l’histoire ? Non ! Le dichlorométhane continuant de s’évaporer et se solubilisant dans l’eau grâce à l’action du tensioactif (bromure de cétyltriméthylammonium), la surface se régénère et les conditions d’étalement se trouvent réinitialisées : tout est réuni pour permettre à la goutte d’entreprendre des pulsations successives. Et celles-ci s’avèrent d’une amplitude et d’une régularité exceptionnelles. Cependant, le dichlorométhane s’évapore toujours et, de manière très reproductible, des branches d’étoile correspondant à des surépaisseurs du film émergent autour de la goutte lorsque le film s’étale pour la quatrième fois.

Une simple péripétie ? Pas du tout... Ces déformations modifient localement la vitesse de rétraction du film, dont les contours adoptent une forme en zig-zag autour des branches d’étoile. Des lignes de micro-gouttes se forment alors le long de ces branches et se rejoignent à la pointe de chacune d’elles, où elles fusionnent avant d’être éjectées et de former des rayons. Un anneau de gouttelettes, des branches bordées de micro-gouttes et des rayons ? Voilà donc une simple goutte qui se transforme en fleur ! Et d’autres vont suivre lors des pulsations suivantes.

Les mystères de cette évolution ont été percés grâce à un dialogue étroit entre expériences et modèles théoriques. C’est la confrontation des prédictions de ces modèles hydrodynamiques à des observations qui a permis d’écrire les grandes lignes de la genèse de cette fleur insolite. Du chemin reste néanmoins à parcourir pour obtenir un modèle complet et prédictif de ce processus d’auto-organisation remarquable qui couple intimement hydrodynamique, chimie et changements de phase.

Ce mode d’éjection des gouttes le long des branches d’étoile rappelle les dispositifs de microfluidique dans lesquels des micro-gouttes, qui constituent autant de réacteurs individuels, circulent dans des micro-canaux. Comment dès lors tirer parti de ce processus d’éjection original ? En utilisant la goutte-mère comme un vecteur destiné à former des assemblages de particules. Ainsi, l’introduction de composés polymères dans la goutte peut trouver des applications pour la vectorisation thérapeutique, en conduisant à la formation d’objets dont la géométrie permettrait une meilleure interaction avec les tissus à traiter. De même, des dopages judicieux de la goutte en nanoparticules peuvent ouvrir des perspectives pour la conception de nouveaux micro-dispositifs électroniques ou optiques.

 

Image retirée.
La « fleur » en vue de dessus. On identifie du centre vers la périphérie : la goutte-mère (diamètre = 5.5 mm environ), les branches d’étoile qui bordent le film de dichlorométhane, les rayons de micro-gouttes issus de leurs pointes, enfin l’anneau périphérique de gouttelettes résultant de la désintégration du bourrelet.

©Véronique Pimienta

 

 

 

Références

Florian Wodlei, Julien Sebilleau, Jacques Magnaudet & Véronique Pimienta.
Marangoni-driven flower-like patterning of an evaporating drop spreading on a liquid substrate
Nature Communications - Février 2018
DOI : 10.1038/s41467-018-03201-3

 

Zeste de Science "Des gouttes qui pulsent" https://lejournal.cnrs.fr/videos/les-gouttes-qui-pulsent

 

 

Contact

Sophie Félix
Chargée de communication
Stéphanie Younès
Responsable Communication - Institut de chimie du CNRS
Christophe Cartier dit Moulin
Chercheur à l'Institut parisien de chimie moléculaire & Chargé de mission pour la communication scientifique de l'INC