Polytétrazènes : des nouveaux polymères énergétiques et dégradables
Quand il s’agit d’envoyer une fusée dans l’espace, chaque gramme compte et les combustibles utilisés, appelés ergols, se doivent de fournir la meilleure propulsion possible. Pour l’étape du lancement, on utilise des boosters solides qui contiennent un combustible mélangé à un liant polymère qui, lui, ne réagit pas. Des scientifiques du LHCEP (CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1/CNES/Arianegroup) et du C2P2 (CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1/CPE Lyon) ont récemment réussi à préparer des nouveaux liants eux-mêmes fortement énergétiques à base de polymères azotés qui participent à la combustion. Ces polymères ouvrent de nombreuses perspectives en aérospatiale, mais également dans la gestion de fin de vie des plastiques car ils peuvent être entièrement dépolymérisés dans un solvant. Ces résultats sont à retrouver dans la revue Angewandte Chemie International Edition.
La plupart des engins spatiaux sont propulsés par des moteurs à réaction alimentés par des carburants, appelés ergols, qui peuvent être liquides ou solides. Pour la fusée Ariane 5, par exemple, un ergol liquide très réactif à base de di-hydrogène et di-oxygène est utilisé, mais qui n’apporte que 10% de la propulsion nécessaire au décollage. C’est un booster solide à combustion immédiate qui génère la majeure partie de l’énergie pour cette étape. Ce booster est composé d’un couple oxydant/réducteur, qui réagit pour fournir l’énergie de combustion, dispersé dans un liant polymère chimiquement inerte. La quête de mélanges toujours plus énergétiques pour ces boosters solides est un champ de recherche très actif de l’aérospatiale et de la chimie pyrotechnique. Si l’amélioration du couple oxydant/réducteur est la première solution visée, elle est intrinsèquement limitée par le surcoût et les dangers liés à la préparation, la manipulation et le stockage de produits trop réactifs. En parallèle, la possibilité de remplacer le liant polymère inerte par un polymère qui contiendrait lui-même des fonctions énergétiques est également étudiée.
Si plusieurs polymères énergétiques ont déjà été proposés, peu contiennent ces fonctions le long du squelette lui-même de la chaîne de polymère. Dans une récente étude, des chercheurs du Laboratoire hydrazines et composés énergétiques polyazotés (LHCEP - CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1/CNES/Arianegroup) et du laboratoire Chimie, catalyse, polymères & procédés (C2P2 – CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1/CPE Lyon) ont préparé une nouvelle famille de polymères énergétiques de type polyuréthane contenant des répétitions de 4 atomes d’azote consécutifs le long du squelette principal à partir de monomères comportant l'unité trans-2-tétrazène. Ces polytétrazènes, synthétisés par polycondensation, présentent d’excellentes propriétés thermiques. Leur squelette polyuréthane devrait en faire des polymères très polyvalents, notamment pour la formulation d’ergols solides. Le fait que les fonctions tétrazènes soient réparties le long du squelette de la chaîne, et non dans des ramifications latérales, permet qui plus est une dépolymérisation complète des chaînes à température ambiante dans un solvant comme l'hexafluoro isopropanol (HFIP). Le recyclage des compositions pyrotechniques obsolètes à base de ces nouveaux liants pourrait donc être envisagé. Au-delà de leur application directe à l’aérospatiale, ces résultats, choisis comme hot paper de la revue Angewandte Chemie International Edition, ouvrent également des perspectives pour le recyclage ou le traitement des plastiques qui contiendraient ces unités tétrazène.
Rédacteur: AVR
Référence
Energetic Nitrogen-Rich Polymers with a Tetrazene-Based Backbone John Eymann, Lionel Joucla,* Guy Jacob, Jean Raynaud,* Chaza Darwich,* et Emmanuel Lacôte* Angewandte Chemie International Edition, 2 octobre 2020.
https://doi.org/10.1002/anie.202008562