Photosynthèse artificielle : trois questions à Marc Fontecave
Transformer le CO2 de l’atmosphère en carburant grâce à l’énergie solaire : voici le défi relevé par l’équipe de Marc Fontecave, professeur au Collège de France et directeur du Laboratoire de chimie des processus biologiques. Il revient sur le chapitre « Photosynthèse artificielle : transformer le Soleil en carburants » qu’il a écrit pour le livre Etonnante Chimie, paru en 2021 chez CNRS éditions.
Faire du CO2, principal gaz à effet de serre, une ressource, c’est possible ?
Le CO2 est souvent considéré comme un polluant de notre atmosphère, mais c’est avant tout une molécule tout à fait essentielle à la vie. On entend partout qu’il faut décarboner la planète, mais il faut redire que demain, malgré tous nos efforts pour décarboner certains domaines, le monde sera toujours carboné. Il faudra toujours du carbone car on a encore besoin de carburants liquides pour le transport lourd et l’industrie chimique, pour les polymères solides et les solvants, pour synthétiser nos médicaments etc. La question est donc : où le trouver si ce n’est plus dans les ressources fossiles?
Dans ce contexte, faire du CO2 une source renouvelable de carbone pour qu’il devienne une richesse et plus un déchet, voilà le défi que nous tentons de relever. La nature a déjà eu cette idée puisqu’elle transforme le CO2 et l’eau en glucose grâce à l’énergie du soleil via la photosynthèse. La chimie ne sait pas faire exactement ça mais peut s’en inspirer. Beaucoup de chimistes se sont attelés à reproduire ce genre de réaction selon des principes biomimétiques. Il s’agit aujourd’hui d’emprunter le chemin en sens inverse : après avoir brulé et dépensé le carburant contenu dans les ressources fossiles pour donner du CO2 et de l’énergie, on cherche à présent à utiliser de l’énergie renouvelable pour récupérer un carburant à partir du CO2.
Quelle a été votre approche au collège de France ?
Nous travaillons sur des systèmes photosynthétiques artificiels, c’est à dire des dispositifs technologiques qui utilisent la lumière du soleil comme source d'énergie et l'eau comme source d’électrons pour convertir le CO2 en composés organiques denses en énergie (carburants ou autres matières premières à base de carbone pour les produits chimiques dans l'industrie). Ceci peut être réalisé en utilisant une cellule photovoltaïque (PV) pour fournir des électrons photogénérés et des trous vers une cellule électrochimique (EC) pour l'oxydation de l'eau à l'anode et la réduction du CO2 en hydrocarbures à la cathode.
Notre approche a été de développer un procédé économiquement viable, en évitant tout ce qui est trop cher, conduit à des synthèses compliquées ou toxiques. Pour être utilisable, un tel système doit en effet utiliser à la fois des panneaux photovoltaïques à faible coût mais aussi des cellules électrochimiques facilement exploitables et qui présentent des pertes d'énergie minimales. Nous avons pris le parti de travailler avec les matériaux les moins chers possible tout en cherchant à comprendre quels catalyseurs, essentiels car sans eux la réaction de réduction du CO2 est beaucoup trop lente, seraient les mieux adaptés, avec quelle microsctructure et propriétés de surface. En utilisant les mêmes catalyseurs originaux et efficaces à base de cuivre, un métal abondant et peu cher, pour les deux électrodes de l'électrolyseur et en minimisant toutes les pertes d'énergie possibles associées au dispositif électrolyseur, nous avons atteint une réduction de CO2 en éthylène et éthane avec une efficacité énergétique de 21 %. Couplé avec un minimodule photovoltaïque à base de pérovskite à la pointe de la technologie et à faible coût, ce système atteint un rendement solaire en hydrocarbures de 2,3 %, proche de celui des microalgues, et qui fixe une référence pour un système PV-EC peu coûteux et abondant sur terre.
Cette technologie semble avoir fait ses preuves mais comment repousser les limites existantes ?
Avant de transformer le CO2, il faut bien sûr le capturer, ce que l’on ne sait pas encore bien faire. Des entreprises se sont lancées dans la mise au point de technologies de capture du CO2 sur des grands sites de production comme les centrales thermiques, les sites de l’industrie métallurgique, les cimenteries…. On estime que l’on pourrait idéalement capturer 10% de ce qui est émis, ce qui serait déjà très bien, pour ensuite le transformer. En parallèle à ce problème de capture, ce sont les rendements et la durée de vie des systèmes de photosynthèse artificielle que nous, physiciens et chimistes, tentons main dans la main de repousser encore plus loin.
Rédacteur : AVR