Philippe Walter : de la Joconde à la grotte de Chauvet, le patrimoine au-delà du visible
Chimiste et historien des techniques de l'art, Philippe Walter a mis au point des instruments d’analyse chimique qui ont révolutionné les sciences du patrimoine. Ce directeur de recherche au CNRS a travaillé avec les musées du monde entier et vient de recevoir son épée d’académicien à la Maison de la Chimie. Il repartira en février prochain explorer les tombes égyptiennes et plus précisément la tombe Toutmosis III dans la vallée des Rois.
Que représente pour vous votre élection à l’Académie des Sciences ?
C’est une grande fierté. C’est aussi une reconnaissance pour la chimie du patrimoine, un domaine émergent qui apporte une nouvelle vision sur les œuvres et le travail des artistes, des artisans et qui permet de mieux comprendre les processus de vieillissement des objets qui constituent notre patrimoine. Pour développer les recherches dans ce champ, j’ai pu créer le Laboratoire d’archéologie moléculaire et structurale (LAMS - CNRS/Sorbonne Université) en 2012 dont les membres sont internationalement reconnus.
Vous avez travaillé sur des objets de l’Égypte ancienne, des momies chiliennes, la préhistoire française, les tableaux des grands maîtres de la Renaissance… Qu’est-ce qui vous pousse à multiplier ainsi les terrains de recherche ?
Avec 30 ans de carrière derrière moi, je peux dire qu’il y a une logique à ce parcours. J’ai commencé par développer des approches physico-chimiques pour l’étude de pigments préhistoriques puis égyptiens, ensuite je suis passé à l’époque gréco-romaine et enfin à la Renaissance. J’ai avancé dans le temps de façon naturelle pour comprendre l’évolution des connaissances techniques. Des travaux comme ceux sur les momies du Chili et les idoles du Pérou s’inscrivent dans une réflexion sur la chimie du vieillissement des matériaux sur le très long terme. Pour moi, il est important de comprendre la période durant laquelle ont été produits les objets et leur contexte de fabrication. La dimension historique et sociétale m’amène à une approche interdisciplinaire.
Votre carrière se caractérise par l’innovation technologique et le développement de nouvelles méthodes d’analyse chimique. Pouvez-vous évoquer cet aspect ?
J’ai commencé à travailler au sein du Centre de recherche et de restauration des Musées de France où j’ai utilisé des outils comme l’accélérateur de particules Aglaé. Cet équipement de recherche, situé au musée du Louvre, m’a permis d’analyser de façon non destructive des œuvres en provenance de différents musées. Mais il y a des objets qui ne peuvent pas voyager et qu’on ne peut qu’étudier sur place. Je me suis donc inspiré des techniques d’analyse embarquées sur les rovers martiens de la Nasa pour développer des instruments portables. Par exemple, nous sommes allés étudier les peintures des tombes égyptiennes découvertes en 2023 à Saqqarah, au sud du Caire. Aujourd’hui nous multiplions les méthodes d’imagerie chimique. Pour les sciences du patrimoine, c’était un changement de paradigme. En effet, en analysant la distribution des composés chimiques à la surface d’un objet, on peut décoder chaque geste de l’artiste ou de l’artisan. On peut tenter de retrouver son état d’esprit et ses intentions au moment de la création.
Ces innovations m’ont conduit à participer à la création l’entreprise LUMETIS qui propose des services d’imagerie pour l’art, mais aussi pour d’autres applications. Par exemple, nous travaillons avec le CNES à la caractérisation de biofilms dans la station spatiale internationale et à l’analyse in situ des roches lunaires. Pour l’art, nous proposons d’assurer la traçabilité des œuvres à l’aide d’instruments d’observation en utilisant la lumière visible, l’ultraviolet et l’infrarouge. Nous avons aussi la possibilité de suivre les dégradations qu’elles subissent, ou encore, d’aider à détecter des fraudes.
De tous les travaux que vous avez menés, quel est le résultat dont vous êtes particulièrement fier ?
C’est difficile, parce que j’ai eu la chance d’étudier un grand nombre d’œuvres extraordinaires, de la Joconde aux peintures de la grotte Chauvet… Ce qui me paraît important, c’est cette nouvelle approche, cette façon de regarder les objets qui brise les frontières disciplinaires. Par exemple, je viens de passer une semaine au musée du Prado pour étudier, avec l’historienne de l’art Ana González Mozo, quelques tableaux de Titien et de Raphaël. On s’est posé des questions, on a discuté, on a remis en cause nos interprétations … Ce sont des collaborations telles que celles-ci dont je suis le plus fier.