Nucléolipides : des biomatériaux pour décontaminer les polluants organiques

Les centres de traitement de l’eau ne parviennent pas à éliminer la totalité des polluants organiques. Si ces derniers restent présents en faibles quantités, ils peuvent, ensemble, former des cocktails toxiques pour la santé. Des chercheurs de l’ARNA (CNRS/Université de Bordeaux/INSERM), du CRPP (CNRS/Université de Bordeaux) et de l’IMBE (CNRS/Université d’Avignon/IRD/Aix-Marseille Université) utilisent des biomatériaux pour agréger ces polluants en flocons dans les eaux usées, facilitant ainsi leur filtration avant même leur arrivée en station d’épuration. Publiés dans la revue American Chemical Society - Sustainable Chemistry & Engineering, ces travaux ouvrent la voie à un traitement de l’eau plus efficace.

Parmi les nombreuses sources de pollution qui menacent l’eau, on retrouve les polluants organiques. Ces molécules sont issues de rejets dans les eaux usées de médicaments et, notamment, de pesticides. S’ils présentent généralement des concentrations très faibles, de l’ordre du microgramme par litre, ces produits provoquent un effet cocktail néfaste pour la santé, comme perturbateur endocrinien par exemple. Malgré l’amélioration constante des procédés de traitement des eaux usées, certains contaminants organiques résiduels subsistent encore, comme les médicaments diclofénac[1] et propranolol. Des chimistes du laboratoire Acides nucléiques : régulations naturelles et artificielles (ARNA, CNRS/Université de Bordeaux/INSERM), du Centre de recherche Paul Pascal (CRPP, CNRS/Université de Bordeaux) et de l’Institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie marine et continentale (IMBE, CNRS/Université d’Avignon/IRD/Aix-Marseille Université) sont parvenus, à l’aide de biomatériaux appelés nucléolipides, à agréger ces polluants pour mieux les filtrer. Les chercheurs suggèrent que, déployé directement à la source d’évacuation des eaux usées, par exemple des hôpitaux, leur système permettrait d’éliminer jusqu’à 95 % de ces composés en amont des stations de traitement.

Inspirés de la biologie, les nucléolipides sont obtenus par l’assemblage chimique d’un lipide avec un nucléotide ou un nucléoside. Ces deux dernières molécules sont très présentes dans l’ADN et les cellules. Dans ces travaux, les chercheurs ont eu l’idée de synthétiser des nucléolipides qui possèdent des têtes à base de nucléotides ou de nucléosides. Cette caractéristique permet aux nucleolipides d’agréger les polluants organiques autour d’eux dans l’eau. L’accumulation de ces ensembles supramoléculaires finit par former des agrégats qui sont plus faciles à filtrer et à traiter, une fois en station d’épuration, que si le diclofénac ou le propranolol restaient dilués. D’autres méthodes de ce type, dites de floculation, existent déjà pour nettoyer l’eau de nanoparticules et de métaux, mais les composés utilisés peuvent se désagréger et devenir eux-mêmes une source de pollution. Ce n’est pas le cas avec les nucléolipides, qui sont biodégradables. Ainsi, ces résultats permettent d’envisager de nouvelles perspectives dans le traitement des eaux usées.

Exemples de nucléolipides dans de l’eau. © P. Barthélemy

Référence

Marc Sicard, Sylvie Crauste-Manciet, François Dole, Julien Verget, Alain Thiéry and Philippe Barthélemy. Decontamination of Organic Pollutants from Aqueous Media Using Polymer-Free Bioinspired Materials. ACS Sustainable Chem. Eng. 2020.

https://doi.org/10.1021/acssuschemeng.0c04329