Nanotechnologies ADN : des origamis dynamiques et évolutifs

Résultats scientifiques

Dans une étude parue dans la revue Nature Nanotechnology, une équipe de scientifiques franco-japonaise propose une méthode innovante permettant la formation spontanée de nano-objets auto-assemblés d’ADN dans des conditions physiologiques. Dynamiques et évolutives, les structures sont capables d’interagir avec leur environnement. Il s’agit d’un nouveau pas vers l’élaboration de machines moléculaires artificielles biocompatibles et intelligentes, une des promesses majeures des nanotechnologies ADN.

L'ADN est la molécule qui stocke et transmet les informations génétiques dans les systèmes biologiques. Les nanotechnologies structurales à base d'ADN sortent cette molécule de son contexte et utilisent l’information chimique qu’elle contient pour guider l’auto-assemblage de morceaux d’ADN synthétiques en diverses structures 1D, 2D ou 3D. Le jeu de complémentarité des bases qui les constituent permet en effet de programmer l’assemblage de briques d’ADN pour former des nano-objets de nature chimique et de formes variées. La possibilité d'y positionner des invités (molécules, protéines, nanoparticules) avec une résolution spatiale inégalée participe au succès de cette technologie.

En plein essor ces 20 dernières années, les nanotechnologies ADN ont eu un impact remarquable sur les nanosciences et les nanotechnologies dans des domaines aussi variés que la biophysique, le diagnostic, l'assemblage de nanoparticules et de protéines, la détermination de la structure des biomolécules, l'administration de médicaments et la biologie synthétique. Cependant, les structures auto-assemblées sont généralement obtenues par un recuit thermique au cours duquel on chauffe le système à une température assez élevée (autour de 80 degrés) avant de le refroidir progressivement. Il n’est donc pas possible de former ces objets in situ dans un milieu à température ambiante ou physiologique. De plus, les objets obtenus sont statiques et ne sont pas capables de reconfiguration majeure une fois formés.

Dans un article récemment paru dans la revue Nature Nanotechnology, une équipe du laboratoire PASTEUR (CNRS/ENS-PSL/ Sorbonne Université), en collaboration avec des chercheurs du Centre de biologie structurale (CNRS/Inserm/Université Montpellier) et une équipe japonaise, décrit une méthode innovante grâce à laquelle des centaines de briques d'ADN différentes peuvent s'auto-assembler spontanément à température ambiante ou physiologique pour aboutir à la forme désirée. La méthode, qui utilise un simple tampon de chlorure de sodium, est générique et s'applique à un grand nombre de structures différentes : origamis d'ADN 2D ou 3D, nanogrilles étendues, nanotuiles, etc. Elle permet également d'auto-assembler des protéines par voie isotherme à des positions désirées sur ces nano-objets. Les scientifiques ont également imagé par le mécanisme d'assemblage in situ et en temps réel par microscopie à force atomique (AFM) haute résolution haute vitesse. Ces observations révèlent la capacité du système à explorer des chemins de repliements différents jusqu’à atteindre la morphologie désirée.

Enfin, les structures obtenues sont dynamiques, évolutives et reconfigurables. Ils ont ainsi pu démontrer la première transformation isotherme et complète d'un origami d'ADN, d'une morphologie à une autre complètement différente (ici d'un rectangle à un triangle). Ces résultats augmentent de manière considérable les perspectives offertes par l'auto-assemblage moléculaire d’ADN. Ils permettent d’envisager des nanostructures sophistiquées et programmables à température ambiante ou physiologique, capables de répondre et s'adapter de manière isothermique aux signaux chimiques ou biochimiques dans des environnements fluctuants. De quoi répondre à une des promesses majeures de la nanotechnologie de l'ADN : la démonstration de machines moléculaires artificielles, autonomes, reconfigurables, et capables d’interagir avec leur environnement de manière adaptative et/ou évolutive.

Rédacteur: AVR

Auto-assemblage spontané à température ambiante ou physiologique d’un grand nombre de brins d’ADN en différentes structures origamis d’ADN comme des triangles (à gauche), des rectangles (au centre) ou même des « smileys » (à droite). © Damien Baigl

Référence

Isothermal self-assembly of multicomponent and evolutive DNA nanostructures
Caroline Rossi-Gendron, Farah El Fakih, Laura Bourdon, Koyomi Nakazawa, Julie Finkel, Nicolas Triomphe, Léa Chocron, Masayuki Endo, Hiroshi Sugiyama, Gaëtan Bellot, Mathieu Morel, Sergii Rudiuk & Damien Baigl

Nature Nanotechnology 2023
https://doi.org/10.1038/s41565-023-01468-2
 

A lire aussi :
Shaken, not heated: DNA self-assembly at room temperature

Elisa Franco
Nature Nanotechnology 2023
https://www.nature.com/articles/s41565-023-01467-3

Contact

Damien Baigl
enseignant-chercheur au laboratoire Processus d'activation sélectif par transfert d'énergie uni-électronique ou radiatif (PASTEUR, CNRS/ENS-PSL/Sorbonne Université)
Stéphanie Younès
Responsable Communication - Institut de chimie du CNRS
Christophe Cartier dit Moulin
Chercheur à l'Institut parisien de chimie moléculaire & Chargé de mission pour la communication scientifique de l'INC
Anne-Valérie Ruzette
Chargée scientifique pour la communication - Institut de chimie du CNRS