Nanostructuration : plus de finesse pour plus de dureté
Le carbure de bore est un matériau combinant dureté, légèreté, résistance aux hautes températures mais qui supporte mal les chocs. Des scientifiques du CNRS ont développé une nouvelle méthode de synthèse de ce matériau sous forme de céramique à base de nanocristaux qui présente une dureté inégalée et une résistance aux chocs exceptionnelle. Des résultats qui trouvent des perspectives dans des domaines aussi variés que l’aérospatiale ou la protection balistique.
Le carbure de bore (B₄C) sous forme de céramique, c’est-à-dire obtenu par un procédé de cuisson à haute température, est bien connu pour sa légèreté, sa tenue aux températures extrêmes et ses remarquables propriétés mécaniques. C’est un matériau de choix pour des applications en aérospatiale, outils de coupe ou encore protections balistiques. Cependant, son industrialisation à grande échelle est limitée par sa dureté. Bien qu’importante, elle ne dépasse pas la limite de la super-dureté (domaine du diamant, du nitrure de bore cubique et d’autres matériaux à base de bore). Sa faible tenue mécanique face aux chocs pose également problème : suite à un fort impact, il s’amorphise (perd sa structure cristalline), ce qui conduit à une chute importante de ses performances mécaniques.
Il est connu depuis longtemps que diminuer la taille des grains1 jusqu’à l’échelle nanométrique (5 à 50 nm) améliore leurs propriétés mécaniques. En effet, en diminuant la taille des grains, on augmente le nombre de joints de grain2 qui s’opposent à la propagation des dislocations apparaissant sous contrainte mécanique. D’où une augmentation de l’élasticité du matériau, un phénomène connu sous le nom d'effet Hall-Petch. Hélas, les grains nanométriques de carbure de bore disponibles étaient jusqu’à présent dix fois trop grands pour prétendre à un tel effet. Pour optimiser les propriétés mécaniques des céramiques à base de carbure de bore, il fallait donc d’abord parvenir à synthétiser ces nanocristaux de tailles inférieures à 50 nm. Il était ensuite indispensable de réussir à conserver leur taille lors de leur assemblage pour former des céramiques.
Double défi relevé par un groupe de scientifiques de laboratoires parisiens, limougeaud et lyonnais3 . En évaporant à haute température le sodium contenu dans des nanocristaux de borocarbure de sodium, les scientifiques sont parvenus à les convertir en nanocristaux de carbure de bore présentant une distribution de taille étroite centrée à 10 nm. La densification de cette nanopoudre de carbure de bore pour former la céramique a ensuite été réalisée grâce à un dispositif original de frittage par « Spark Plasma Sintering » sous très hautes pressions, breveté par les auteurs.
Le couplage des très hautes pressions (5 GPa) avec un chauffage ultra-rapide permet une densification rapide en limitant la croissance des grains. Les céramiques nanostructurées obtenues présentent une taille de grains inférieure à 20 nm. Cette spécificité qui impose un nombre important de joints de grain dans la structure confère au matériau une dureté fortement accrue (supérieure à la limite de la super-dureté de 40 GPa) et une résistance très élevée eux chocs.
Ce nouveau carbure de bore nanostructuré super-dur décrit dans la revue ACS Nano pourrait trouver des applications dans des domaines où les performances mécaniques sont essentielles comme l'aérospatiale, les outils de coupe, les protections balistiques ou le nucléaire.
Rédacteur : CCdM
- 1Sont appelés « grains » les unités de base (dans notre cas le carbure de bore) qui, une fois chimiquement réunis, constituent les céramiques.
- 2Le terme "joint de grain" désigne la région de transition entre deux grains cristallins adjacents dans un matériau.
- 3Ce travail est le fruit d’une collaboration entre le Laboratoire de chimie de la matière condensée de Paris (CNRS/Sorbonne Université), l’Institut de minéralogie, de physique des matériaux et de cosmochimie(CNRS/Sorbonne Université/MNHN/IRD), l’Institut lumière matière (CNRS/Univ. Lyon 1), la Fédération de chimie et matériaux de Paris Centre (CNRS/Sorbonne Université), le Laboratoire de chimie du solide et de l’énergie (Collège de France/ Sorbonne Université), de l’Institut de recherche sur les céramiques (CNRS/ Université de Limoges) et de l’institut Max Planck pour la chimie-physique des solides de Dresde.
Référence
F. Igoa Saldaña, T. Gaudisson, S. Le Floch, B. Baptiste, L. Delbes, V. Malarewicz, O. Beyssac, K. Béneut, C. Coelho Diogo, C. Gervais, G. Rousse, K. Rasim, Y. Grin, A. Maître, Y. Le Godec & D. Portehault
Transforming Nanocrystals into Superhard Boron Carbide Nanostructures
ACS Nano 2024
https://pubs.acs.org/doi/10.1021/acsnano.4c08599