Mathieu Allix vise la transparence
Les verres en cristal ne sont pas en cristaux, ce qui n’empêche pas Mathieu Allix de cristalliser le verre. Avec un chauffage soigneusement contrôlé, ce chimiste ordonne complètement ce matériau désordonné pour obtenir des céramiques singulières. Ces nouvelles céramiques combinent transparence, conductivité et meilleure résistance aux chocs. De quoi enthousiasmer le monde de l’optique et même de la joaillerie !
Avec sa structure chaotique, le verre représente le matériau désordonné par excellence. Certains chercheurs s’obstinent pourtant à l’ordonner, afin de le cristalliser. Mathieu Allix chauffe ainsi du verre pour fabriquer des vitrocéramiques, si la cristallisation est partielle, et de véritables céramiques, en cas de cristallisation complète. Fort d’une thèse au CRISMAT1 et d’un postdoctorat à l’université de Liverpool sur l’étude de nouveaux oxydes, ce jeune directeur de recherche au CNRS, au laboratoire Conditions Extrêmes et Matériaux : Haute Température et Irradiation (CEMHTI, CNRS/Université d’Orléans), met ainsi à profit son talent pour la synthèse et la caractérisation structurale. Il élabore de nouveaux matériaux qui gardent la transparence du verre, tout en y ajoutant les propriétés mécaniques, électriques ou luminescentes des céramiques.
Malgré ses origines préhistoriques, la céramique n’a en effet pas livré tous ses secrets. Certaines céramiques transparentes luminescent de tout leur volume, les céramiques classiques opaques étant limitées à un effet de surface. Ces propriétés optiques actives intéressent la conception de lentilles, de matériaux à luminescence persistante ou encore de LED. Comme la cristallisation renforce le verre, sans altérer sa transparence et son esthétique, ces matériaux trouvent également des applications en joaillerie.
« Le domaine des céramiques transparentes a vu le jour dans les années 60, puis a explosé au Japon vers 1995, « explique Mathieu Allix avec passion ». « Elles s’obtenaient alors par frittage, c’est-à-dire en faisant réagir et s’assembler des poudres solides à très hautes pressions et températures. »
- 1Laboratoire de cristallographie et sciences des matériaux (CNRS/Université Caen Normandie/ENSICAEN)
Mathieu Allix a de la suite dans les idées. Avec son groupe, il utilise une méthode beaucoup moins contraignante et qui se réalise dans des conditions de pression et de température plus faibles. Ils chauffent le verre en dessous de 1000 °C, soit une température moindre que celle à laquelle le verre est fondu. « Nous voyons le verre comme un matériau métastable, refroidi rapidement en un état désordonné, détaille-t-il. En le réchauffant, nous lui apportons de l’énergie pour réorganiser sa structure par de petits déplacements à l’échelle atomique, jusqu’à ce qu’elle passe à l’état cristallin. »
L’opération demande un parfait contrôle, ce qui ne fait pas défaut à Mathieu Allix, expert en microscopie électronique en transmission. Il suit ainsi, et donc maîtrise, l’évolution de la taille et de l’orientation des cristaux. Le matériau conserve alors ses propriétés de transparence. La taille des cristaux influe quant à elle sur les propriétés mécaniques de la céramique : plus ils sont petits et mieux elle résiste aux chocs.
« Si mon laboratoire me permet, par son cœur d’activité, de développer une approche hautes températures pour la fusion puis la cristallisation du verre, poursuit le chercheur, les méthodes de caractérisation me servent aussi à observer et contrôler le désordre du verre avant qu’il ne s’ordonne en un matériau cristallisé. » La diffraction sur poudre, la microscopie électronique en transmission et la spectroscopie de rayonnement magnétique nucléaire sont ainsi sollicitées à différentes étapes.
Grâce à cette approche qui lui a valu la médaille de bronze du CNRS en 2013, le chercheur obtient des céramiques transparentes aux nombreuses propriétés. Avec ses collègues du CEMHTI et des chercheurs chinois, Mathieu Allix a par exemple synthétisé une céramique à partir d’un verre de YAG (Grenat d’Yttrium et d’Aluminium). L’opération a considérablement augmenté la flexibilité de ce matériau très prisé en optique, tout en renforçant sa dureté de 10 %. Là encore, la cristallisation n’altère en rien la transparence initiale du verre.
Dans d’autres travaux, l’équipe du CEMHTI a totalement cristallisé un verre tout en lui donnant une conductivité anionique. Enfin, dans le cadre de sa participation au tout récent projet ANR PERSIST, porté par Bruno Viana de l’IRCP2 , Mathieu Allix se tourne à présent vers les matériaux à luminescence persistante, avec l’objectif d’améliorer leurs propriétés et d’augmenter leur taille. De quoi illustrer davantage la richesse des propriétés dont il sait parer les verres et les céramiques.
Portrait réalisé par Martin Koppe.
- 2Institut de Recherche de Chimie de Paris (IRCP, CNRS/Chimie ParisTech).