Lumière sur les entrelacs moléculaires

Résultats scientifiques

Les rotoxanes sont des molécules entrelacées constituées de sous-unités moléculaires liées entre elles par des liens mécaniques et dont l’utilisation comme moteur moléculaire (interrupteur ou muscle moléculaire) suscite un grand intérêt. Des chercheurs du LIMA (CNRS/Université de Strasbourg/Université de Haute Alsace) ont développé une nouvelle méthode permettant de les préparer facilement. Publié dans la revue Chemistry-a European Journal, ce travail a d’ores et déjà été exploité pour la construction d’un système photo-actif, siège d’un processus photo-induit à travers l’espace.

Les rotaxanes sont des molécules aux géométries très particulières composées de sous unités emboitées les unes dans les autres de façon permanente. Un exemple très étudié comprend une sous-molécule en forme d’altère et une molécule en forme d’anneau (macrocycle) piégé le long de l’axe de l’altère par ses extrémités plus volumineuses. Ces molécules sont particulièrement intéressantes pour l’élaboration de machines moléculaires utilisées comme composants électroniques (interrupteurs et navettes moléculaires) et dont le fonctionnement est basé sur le mouvement (rotation ou déplacement latéral) du macrocycle le long de l'haltère. Ces machines de rotaxanes peuvent être manipulées à la fois par une action chimique, électrochimique ou photochimique (matériaux opto-électroniques). Leur utilisation comme muscle moléculaire a également été démontrée. Les rotoxanes sont cependant difficiles à préparer car l’assemblage des sous-unités (altère et cycle) est souvent incompatible avec les conditions de synthèse utilisées pour leur construction. Des chercheurs du Laboratoire d'innovation moléculaire et applications (CNRS/Université de Strasbourg/Université de Haute-Alsace) ont réussi à préparer très efficacement une brique de construction comportant deux groupements réactifs sur les extrémités de l’axe du rotaxane. Ils ont ensuite montré qu’il était possible de remplacer ces groupements par réaction avec divers nucléophiles pour générer des rotaxanes portant diverses fonctions chimiques. Comme ces réactions se font par un mécanisme d’addition-élimination, les groupements présents de part et d’autre de l’axe moléculaire restent toujours volumineux et empêchent la libération du macrocycle. La structure du rotaxane est donc préservée durant les transformations chimiques et de nombreux rotaxanes impossibles à préparer par les méthodes classiques deviennent maintenant facilement accessibles.

 

En utilisant ce principe de construction, les chercheurs ont préparé un système photoactif associant des chromophores, groupements qui absorbent une certaine longueur d’onde de la lumière, complémentaires. L’axe du rotoxane a été fonctionnalisé à chacune de ses extrémités par des fluorophores qui émettent une lumière fluorescente sous excitation lumineuse, tandis que l’anneau (ou macrocycle) du rotaxane porte un groupement fullerène* capable de piéger cette luminescence. Après absorption de lumière par les fluorophores du rotaxane, aucune luminescence n’est observée, ce qui indique que l’énergie lumineuse captée par les fluorophores est convoyée vers le fullerène qui n’est pas fluorescent. Ce transfert d’énergie est très efficace bien qu’il n’existe aucune liaison chimique covalente entre les deux types de chromophores qui appartiennent à des sous-unités distinctes du rotaxane. Ce processus se fait donc à travers l’espace. Une meilleure compréhension de ce transfert d’énergie est fondamentale pour le développement de nouveaux matériaux opto-électroniques, composants électroniques qui émettent ou interagissent avec la lumière. Les rotaxanes apparaissent comme des objets d’étude particulièrement bien adaptés dans cette perspective.

 

*fullerène : molécule en forme de cage composée exclusivement d’atomes de carbone ; le buckminsterfullerène ou C60 est le représentant le plus abondant de cette famille de molécules et il a la forme d’un icosaèdre tronqué (c’est en fait la réplique exacte d’un ballon de football).

(A) Echange des bouchons d’un rotaxane par une réaction d’addition-élimination. (B) Rotaxane photoactif. © Jean-François Nierengarten

Référence

Pentafluorophenyl Esters as Exchangeable Stoppers for the Construction of Photoactive [2]rotaxanes Marine Rémy, Iwona Nierengarten, Boram Park, Michel Holler, Uwe Hahn, et Jean-François Nierengarten, Chemistry-a European Journal, 7 avril 2021.

https://doi.org/10.1002/chem.202100943

Contact

Jean-François Nierengarten
Chercheur, Laboratoire d'innovation moléculaire et applications (CNRS/Université de Strasbourg/Université de Haute-Alsace)
Christophe Cartier dit Moulin
Chercheur à l'Institut parisien de chimie moléculaire & Chargé de mission pour la communication scientifique de l'INC
Anne-Valérie Ruzette
Chargée scientifique pour la communication - Institut de chimie du CNRS
Stéphanie Younès
Responsable Communication - Institut de chimie du CNRS