Lucie in the sky
« Choisir, c’est renoncer » n’est pas l’adage de Lucie Jarrige. Entre une carrière exigeante de chimiste au CNRS et l’escalade au top niveau, elle mène ses deux passions de front. Ce qui lui réussit puisqu’elle est encore revenue médaillée d’or de Moscou où se sont tenus les championnats du monde Handi-escalade en septembre 2021.
Scientifiques et sportifs ont souvent pour point commun de dépasser leurs limites, de la connaissance pour les uns, physiques pour les autres. Ces limites, Lucie Jarrige, 30 ans, les franchit toutes, avec humilité. Si ce n’étaient les médias qui se faisaient l’écho de son quatrième titre de championne du monde Handi-escalade à Moscou, elle vivrait ses deux passions incognito. Mais qu’on ne s’y trompe pas, derrière une certaine timidité se cache une volonté de fer.
La science, une quête de sens, le sport, une nécessité
Le sport fait partie de la vie de Lucie Jarrige, intensément. Le cancer qui a eu raison de sa jambe gauche à 15 ans ne l’a pas empêchée de pratiquer la natation en compétition. Une épreuve qui l’a d’abord poussée à s’engager dans des études universitaires de pharmacie avec la motivation de soigner. Mais l’envie d’aller plus loin, de comprendre plus en amont, la conduit finalement vers la recherche fondamentale. Après une licence de chimie à l’université de Bordeaux, puis un master à l’université Paris-Sud, elle démarre en 2014 une thèse en chimie organique sous la direction de Géraldine Masson, à l’Institut de chimie des substances naturelles de Gif-sur-Yvette. Ses travaux portent alors sur le développement de nouvelles méthodes de synthèse d’hétérocycles, motifs très répandus dans les molécules naturelles et d’intérêt thérapeutique, faisant appel à l’organocatalyse et à la catalyse photorédox, outils innovants et respectueux de l’environnement. Après de longues heures de travail, la dépense physique lui est nécessaire. Elle se met donc à l’escalade, grâce aux hasards des rencontres.
Une pugnacité récompensée
Au club de l’ES Massy, elle passe très rapidement de la découverte au haut niveau puisque seulement trois ans seront nécessaires pour participer à ces premiers championnats du Monde, à Paris-Bercy en 2016 où elle se verra récompensée du métal le plus précieux. Elle reçoit aussi en 2017 la bourse L’Oréal-UNESCO For Women in Science récompensant ces travaux de thèse. Cette distinction la désigne alors ambassadrice des sciences pour le groupe L’Oréal lui permettant d’intervenir en milieu scolaire pour sensibiliser les jeunes, et notamment les jeunes filles, aux carrières scientifiques. L’année 2018 conforte sa réussite sportive puisqu’elle décroche pour la deuxième fois la première place aux championnats du monde à Innsbruck. Une fois le titre en poche, elle part en post-doctorat à l’université de Marbourg en Allemagne, d’abord dans le domaine de la photocatalyse puis en catalyse organométallique, et en particulier en catalyse au fer. Au cours de cette expérience outre-Rhin et malgré l’absence d’entraîneur, elle se donnera les moyens de rester au niveau afin de décrocher un troisième titre mondial, en 2019 à Briançon.
Son prochain challenge
Après le post-doc, il lui faut songer à passer le concours de chargée de recherche sur un poste qui corresponde à son expertise. C’est tout naturellement qu’elle candidate en 2020 à l’Institut des Sciences Chimiques de Rennes au sein de l’équipe « Organométallique : matériaux et catalyse » (OMC). Elle intègre alors la composante « Catalyse Moléculaire pour la Chimie Fine » située à l’Ecole Nationale Supérieure de Chimie de Rennes (ENSCR) dirigée par Marc Mauduit. Son prochain challenge ? « Réaliser une réaction de métathèse d’oléfines catalysée au fer. Là, j’aurais atteint mon objectif ! », se réjouit-elle d’avance. Et si elle gagnait aussi les JO de 2028 à Los Angeles, si sa discipline venait à en faire partie…Aucun rêve ne semble trop grand pour Lucie.