L’ISA : dix ans d’innovation en chimie analytique pour notre santé et l’environnement
Identifier les molécules révélatrices d’une insuffisance cardiaque ou détecter les traces infimes de pollution dans trois milligrammes de poisson, rien n’échappe aux chercheurs de l’Institut des sciences analytiques (ISA, CNRS/Université Claude Bernard Lyon1) et à leurs méthodes de pointe en chimie. Alors que le laboratoire fête ses dix ans, Christophe Morell et Emmanuelle Vulliet, directeur et directrice adjointe, présentent des méthodes analytiques si performantes qu’elles décèlent « un grain dans une tonne de sable » !
L’ISA est l’un des principaux centres de recherche européens dédiés à la chimie analytique avec des applications en environnement et en santé. Quels sont les défis auxquels vous vous attaquez ?
Christophe Morell – Nous développons des dispositifs et méthodes analytiques dont nous démultiplions les capacités en termes de résolution, de sensibilité, de détection, de rapidité, de miniaturisation ou encore de portabilité. Nous allons jusqu’à modifier nos équipements analytiques pour les pousser au-delà des limites annoncées par leurs constructeurs.
Autour des trois axes qui structurent nos activités de recherche, nous proposons[1] des approches innovantes multidimensionnelles permettant la caractérisation et l’étude d’échantillons complexes. Nous pouvons tracer et quantifier des ultra-traces de contaminants (pesticides, perturbateurs endocriniens, substances médicamenteuses…), discriminer l’origine (synthétique, naturelle, bio-sourcée) de composés, déterminer des biomarqueurs, quantifier des molécules cibles en temps réel dans des matrices biologiques…
Nous développons[2] également des méthodes analytiques avancées en fonctionnalisation ou caractérisation de surfaces et nanotechnologies ainsi que des dispositifs miniaturisés (capteurs, microsystèmes…) adaptés à des conditions en laboratoire contrôlé, en ligne, in situ et in-vivo. Nous apportons ainsi des solutions analytiques pour la santé (diagnostic précoce, rapide, non invasif ; criblage des interactions protéine/ligand) ou l’environnement (détection de contaminants…).
Enfin, nous nous intéressons[3] aux interactions moléculaires, à la dynamique des molécules et des systèmes biologiques. Afin de comprendre leurs fonctionnements, nous associons l’expérimentation via la résonnance magnétique nucléaire et la théorie par l’application d’outils de calcul et de modélisation.
Quels travaux ont été les plus marquants dans cette première décennie de l’ISA ?
Emmanuelle Vulliet – Parmi l’ensemble de nos travaux, nous pouvons citer les projets européens HEARTEN et KARDIATOOL coordonnés par l’ISA visant à améliorer le diagnostic et le suivi de l’insuffisance cardiaque. La présence de molécules dans la salive à certaines teneurs constitue un signal des prémices d’une insuffisance cardiaque. Un prototype de biocapteur salivaire portable et connecté a été développé puis testé avec succès. Aujourd’hui le prototype atteint un seuil de détection de l’ordre de 0,1 picogramme/ml et sera bientôt expérimenté en conditions hospitalières.
Dans le cadre du projet de recherche hospitalo-universitaire IdBIORIV, en collaboration avec les Hospices civils de Lyon et la société SCIEX, nous développons un nouvel outil de diagnostic très rapide de la septicémie utilisant la spectrométrie de masse ciblée et permettant en quatre-vingt-dix minutes, au lieu d’un à deux jours actuellement, d’identifier le pathogène, de caractériser son profil de résistance aux antibiotiques et son niveau de virulence. Cette rapidité permettra d’améliorer le pronostic vital des patients.
Dans le domaine de l’environnement, nous repoussons toujours les limites de détection et d’identification de polluants, visant en particulier des espèces dites sentinelles comme les abeilles ou les petits crustacés et mollusques aquatiques, les vers de terre... Leur capacité d’accumulation des contaminants est utilisée comme indicateur de la qualité de leurs milieux Nous avons été pionniers pour identifier des ultra-traces de polluants à l’échelle d’individus de ces microorganismes, voire d’organes d’individus, ce qui permet à nos partenaires écotoxicologues d’étudier la variabilité individuelle de l’impact de la pollution au sein d’une même espèce. Nos outils contribuent à faire avancer la compréhension de l’exposome chimique, c’est-à-dire l’impact des expositions chimiques sur les êtres vivants.
Nous avons également été parmi les premiers à étudier la contamination des eaux d’assainissement via le suivi des métabolites et produits de dégradation des composés pharmaceutiques. Nous avons ainsi mis en évidence les processus de métabolisation des molécules mères des médicaments, depuis leur absorption par les patients jusqu’à leur transport dans les effluents après leur élimination par les organismes.
Quelles sont les prochaines perspectives de recherche à l’ISA ?
Emmanuelle Vulliet – Nous souhaitons coupler l’imagerie multimodale à nos techniques analytiques pour non seulement identifier et caractériser les molécules mais aussi disposer de leur cartographie 3D in situ à l’échelle d’un organe ou d’un tissu. Nous avons d’ores et déjà réalisé des travaux prometteurs avec des chercheurs CNRS, INRAE et de l’Institut Max Planck de Dresde. Nous poursuivons aussi la miniaturisation de nanocapteurs et de dispositifs analytiques, le développement de nanoparticules multifonctionnalisées pour des diagnostics non invasifs, plus sensibles, ciblés, au plus près du patient et des traitements plus efficaces.
Christophe Morell – Nous orientons également nos recherches en direction de l’utilisation de Réseaux de Neurones Artificiels (Machine Learning) pour traiter les quantités considérables de données que les appareils analytiques fournissent afin d’en extraire les informations les plus pertinentes.
Nous continuerons ainsi à faire avancer les sciences analytiques au service de notre santé et de l’environnement.