L’Institut de chimie du CNRS accueille Christopher Barner-Kowollik en tant qu’Ambassadeur des sciences chimiques en France

Entretiens

A partir du 28 avril, Christopher Barner-Kowollik, Professeur distingué de chimie à la Queensland University of Technology (QUT), démarrera une tournée de conférences dans plusieurs laboratoires du CNRS en tant qu’Ambassadeur des sciences chimiques en France. Les recherches du professeur Barner-Kowollik se concentrent sur la photochimie macromoléculaire et, en particulier, comment la lumière peut être finement contrôlée pour façonner la matière molle, par exemple par impression 3D pilotée par la lumière. Il nous éclaire sur cette nouvelle voie de synthèse très simple de matériaux sophistiqués.

En combinant chimie des polymères et photochimie, vous êtes devenu le pionnier d’une nouvelle voie de synthèse pour la fabrication d'objets en matière molle. Pouvez-vous nous raconter ?

J’ai toujours été fasciné par la lumière et ses interactions avec la matière. Sans lumière, il n'y aurait tout simplement pas de vie sur Terre, puisqu’elle permet un des processus biochimiques clé qui sous-tend la vie : la photosynthèse. Pour les chimistes, le déclenchement de réactions par la lumière a cependant longtemps été restreint à cause des sources de lumière à émission très large qui émettent simultanément de nombreuses couleurs (longueurs d’onde). Cela rendait les processus de déclenchement très indéfinis, un peu comme si on cherchait à façonner un objet en le frappant avec un marteau plutôt qu’un outil de précision. Avec l’avènement des lasers de plus en plus sophistiqués, il est aujourd’hui possible de générer des sources lumineuses monochromatiques à presque toutes les longueurs d'onde en appuyant simplement sur un bouton.

Mon équipe et moi y avons vu une opportunité pour faire évoluer la photochimie en un véritable outil de précision qui utilise des longueurs d'onde monochromatiques bien définies pour induire des transformations chimiques. En sondant les réactions chimiques d'une manière contrôlée, longueur d'onde par longueur d'onde, nous avons d’abord constaté que la couleur d'un produit chimique, définie par son spectre d'absorption, n'est en aucun cas un guide de sa réactivité chimique réelle et qu’on ne peut pas se fier au spectre d'absorption pour conduire des réactions précises. Nous avons donc développé une technique de sondage de la photoréactivité de la matière longueur d'onde par longueur d’onde, appelé "action plot analysis". À ce jour, de nombreuses réactions ont été analysées par cette technique, y compris dans d'autres laboratoires, levant le voile sur les processus photochimiques avec une précision sans précédent.

Cette précision permet de concevoir des systèmes de réaction, y compris dans la chimie des polymères, qui répondent sélectivement à des longueurs d'onde spécifiques. Par exemple, il est désormais possible de générer des matériaux aux propriétés distinctes à partir d'une même résine d'impression 3D, en changeant simplement la couleur de la lumière avec laquelle elle est irradiée, pour peu qu’elle contienne deux systèmes de réaction photochimique indépendants (c'est-à-dire orthogonaux). Les possibilités en photochimie de précision sur la matière sont infinies, allant des processus où différentes réactions se produisent indépendamment les unes des autres à ceux qui nécessitent une irradiation simultanée par deux longueurs d’ondes (synergie) ou, au contraire, qui sont déclenchés par une longueur d’onde et stoppés par une autre (de manière antagoniste).

Quelles avancées peut-on attendre dans ce domaine pour les prochaines années ?

J'espère que notre technique de sondage sera utilisée par les photochimistes du monde entier, car les systèmes laser qu’elle utilise sont devenus simples et très abordables. Nous avons mis à disposition de la communauté un aperçu et un tutoriel accessibles ici. Nous espérons pouvoir véritablement développer la lithographie laser 3D multicolore qui permettrait l'impression 3D de propriétés de matériaux disparates à partir d'une cartouche de résine unique - peut-être le plus grand défi de l'impression 3D. Même si cela relève encore de la science-fiction, il devrait être théoriquement possible d'imprimer des chaînes de polymères uniques. La lumière permet une synthèse de précision topographique que les réactions thermiques ne pourront jamais atteindre. On peut imaginer manipuler une partie d'une molécule, tout en laissant une autre partie complètement intacte, dans une approche que l'on pourrait appeler la « chirurgie moléculaire photochimique ».

En tant qu’Ambassadeur des sciences chimiques en France, avez-vous des attentes particulières de cette tournée à venir ?

Je me réjouis d'interagir avec la communauté française de chimie, notamment lors de la conférence AMPE à Paris à partir du 23 avril. J'ai eu le privilège de travailler avec de nombreux scientifiques français ainsi que d’accueillir des post-doctorants français dans mes laboratoires en Australie et en Allemagne ces dernières années. La chimie de la matière molle française s'élève au meilleur niveau international et j'ai hâte d'échanger avec ses acteurs pendant ma tournée de conférences. J'espère aussi pouvoir mettre en valeur la chimie australienne et favoriser les échanges scientifiques entre nos deux pays. Dans un contexte géopolitique de plus en plus fracturé, il est essentiel de renforcer le message selon lequel la science ne connaît ni frontières ni nationalités. Nous sommes une communauté qui se consacre uniquement à la recherche de faits scientifiques, à la compréhension du monde qui nous entoure et à l'amélioration des conditions de vie sur notre planète. Sur le plan personnel, j'ai hâte de retrouver de vieux amis et de m'en faire de nouveaux dans les universités et villes que nous visiterons.

Programme des conférences :

  • 28/04/2023 - Paris - Jutta Rieger - Institut parisien de chimie moléculaire (IPCM)
  • 02/05/2023 - Bordeaux - Sébastien Lecommendoux - Laboratoire de chimie des polymères organiques (LCPO)
  • 03/05/2023 - Marseille - Didier Gigmes - Institut de chimie radicalaire (ICR)
  • 05/05/2023 - Lyon - Jannick Duchet-Rumeau - Laboratoire Ingénierie des matériaux polymers (IMP)

Contact

Stéphanie Younès
Responsable Communication - Institut de chimie du CNRS
Christophe Cartier dit Moulin
Chercheur à l'Institut parisien de chimie moléculaire & Chargé de mission pour la communication scientifique de l'INC
Anne-Valérie Ruzette
Chargée scientifique pour la communication - Institut de chimie du CNRS