Les secrets d’un colorant naturel Aztèque
Des chercheurs de l’Institut de chimie physique (CNRS/Université Paris-Saclay) et du Centre de recherche sur la conservation (CNRS/MNHN) ont caractérisé les molécules et la signature spectrale d’un colorant naturel utilisé par les Aztèques. Ces travaux, publiés dans le Journal of Separation Science, sont à retrouver dans les gares SNCF de Paris-Austerlitz et de Versailles-Chantiers dans le cadre de l’exposition « Objets de culture, matériaux et diversité » dans deux gares franciliennes jusqu’au 29 mai 2023.
Le Codex Borbonicus, conservé à l’Assemblée Nationale, est l’un des rares manuscrits aztèques ayant survécu à la conquête espagnole et l’inquisition. Il présente de nombreuses scènes de cérémonies religieuses. Dans celles-ci, pour bien montrer que les prêtres avaient la peau enduite de suie, le ou les artistes ayant réalisé le codex ont utilisé une peinture marron-brun. La composition et le mode de préparation de cette peinture était restée longtemps inconnue.
Grâce aux travaux d’une équipe de l’Institut de chimie physique (CNRS/Université Paris-Saclay) et du Centre de recherche sur la conservation (CNRS/MNHN), on sait désormais que ce colorant naturel provient de Justicia spicigera, un arbuste originaire du Mexique et d’Amérique Centrale. Mais les chercheurs ont voulu aller plus loin et retrouver le mode de préparation du colorant à partir de la plante. Pour cela, ils ont d’abord laissé macérer les feuilles de Justicia dans l’eau. Ils ont ainsi obtenu un liquide violet qu’ils ont ensuite filtré. Après évaporation, ils ont recueilli un résidu qu’ils ont broyé. Des documents historiques indiquent que, pour produire leurs peintures, les Aztèques mélangeaient les pigments à une colle issue de bulbes d’orchidée. Faute de cet ingrédient difficile d’accès, les chercheurs ont expérimenté avec deux liants différents : la gomme arabique et la colle d’amidon de maïs. Ils n’avaient plus qu’à badigeonner cette peinture sur un papier. Résultat : la couleur obtenue était très proche de celle du codex aztèque.
Les chercheurs ont alors réalisé une expérience de vieillissement artificiel du colorant. Pour cela, ils ont soumis leur papier enduit de peinture à une lumière crue, une méthode habituelle qui cherche à mimer la dégradation des matériaux d’art au fil du temps. La couleur est restée stable, tout comme celle du codex aztèque. Ces résultats suggèrent que les chercheurs sont parvenus à recréer un mode de préparation comparable à celui des scribes de Tenochtitlan.
Mais les chercheurs n’ont pas voulu en rester là. L’une des méthodes utilisées par les scientifiques du patrimoine pour déterminer la nature des pigments et colorants utilisés dans les objets d’art est la spectroscopie Raman. Celle-ci comporte l’avantage d’être non-invasives : pas besoin de sacrifier un échantillon de l’objet pour l’analyser. La méthode consiste à comparer la signature spectrale de l’objet étudié aux signatures de colorants connus.
Les chercheurs sont parvenus à caractériser deux molécules organiques responsables de la coloration de Justicia spicigera et obtenu leur signature spectrale. Désormais, les scientifiques pourront utiliser ces dernières pour déterminer si un colorant issu de Justicia a été appliqué sur un objet ou un textile provenant du Mexique ou d’Amérique Centrale.
Ces travaux publiés dans le Journal of Separation Science été sélectionnés pour l’exposition « Objets de culture, matériaux et diversité » et sont à découvrir dans les gares SNCF de Paris-Austerlitz et de Versailles-Chantiers jusqu’au 29 mai 2023.
Rédacteur : CCdM
Référence
Lucie Arberet, Witold Nowik, Anne Michelin, Alain Tchapla, Christine Andraud, Sylvie Héron
Methodology for dyes purification by preparative bidimensional offline reversed phase HPLC separation based on mobile phase pH change: case study of Justicia spicigera
Journal of Separation Science 2023
https://analyticalsciencejournals.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/jssc.202200774