Les nébuleuses peuvent fabriquer les briques de l’ADN
Les preuves s’accumulent pour montrer que les éléments nécessaires à l’apparition de la vie se sont formés dans l’espace, avant d’arriver sur Terre. Il ne manquait qu’un seul « ingrédient » : les cinq bases nucléiques qui servent de briques à l’ADN. Des chimistes et des astrophysiciens du PIIM (CNRS/Aix-Marseille Université) et de l’IC2MP (CNRS/Université de Poitiers) ont démontré qu’au moins une de ces bases nucléiques peut être produite dans les conditions extrêmes du système solaire primitif. Publiés dans la revue The Astrophysical Journal Letters, ces travaux donnent également un grand espoir pour les quatre autres bases nucléiques.
Dans les nuages de gaz et de poussière qui constituent les nébuleuses, des sucres et des acides aminés peuvent se former. Or ce sont deux des trois grands ingrédients qui constituent la vie sur Terre. Seules manquaient les bases nucléiques, qui forment les nucléotides composant l’ADN et l’ARN. Ces bases nucléiques sont au nombre de cinq : adénine, cytosine, guanine, thymine et uracile. Grâce à des simulations expérimentales permettant de synthétiser des analogues de la matière organique produite lors de la formation de notre système solaire et des techniques d’analyse de pointe, des scientifiques du laboratoire Physique des interactions ioniques et moléculaires (PIIM, CNRS/Aix-Marseille Université) et de l’Institut de chimie des milieux et matériaux de Poitiers (IC2MP, CNRS/Université de Poitiers) ont montré que les bases nucléiques de l’ADN peuvent elles aussi se former dans la nébuleuse solaire, vaste nuage de gaz et de poussières à partir duquel s’est constitué le système solaire.
Les conditions si particulières de l’espace ouvrent en effet la voie à des réactions chimiques plus complexes qu’imaginées auparavant. Les rayonnements cosmiques y cassent les molécules en radicaux libres. Ces entités extrêmement réactives se réarrangent ensuite en de nouveaux composés, qui n’auraient pas forcément pu être obtenus autrement. Les chercheurs ont donc reproduit, en laboratoire, les conditions de température et d’irradiation présentes au sein de la nébuleuse solaire, véritable réacteur chimique. De l’eau, du méthanol et de l’ammoniac y ont été déposés à basse température (77 K) et pression (10-7 mbar), pour former des analogues de glace entourant ces poussières. Après altération par un rayonnement ultra-violet, la glace irradiée a été réchauffée pour mener à la formation d’un résidu organique analogue à celui ayant pu se former lors de l’évolution de la nébuleuse solaire. L’échantillon obtenu a été analysé par deux spectromètres de masse travaillant en synergie. Résultat, une des cinq bases nucléiques a été formellement identifiée, la cytosine, ainsi que des isomères proches des quatre autres. L’incertitude pour ces dernières résulte de la grande diversité moléculaire présente, pouvant inclure un nombre important d’isomères : des molécules ayant des masses et des structures chimiques suffisamment proches pour pouvoir tromper les spectromètres de masse. Les chercheurs poursuivent leurs efforts pour éliminer le doute sur ces quatre bases, mais la présence prouvée de la seule cytosine est déjà une découverte d’importance.
La nébuleuse solaire : un réacteur chimique menant à la formation des bases nucléiques. © Ruf et al.
Références
Alexander Ruf, Justin Lange, Balkis, Eddhif, Claude Geffroy, Louis Le Sergeant d’Hendecourt, Pauline Poinot, and Grégoire Danger. The Challenging Detection of Nucleobases from Pre-accretional Astrophysical Ice Analogs. The Astrophysical Journal Letters, 17 Décembre 2019.