Le conseil d’administration de l’Association française de magnétisme moléculaire passe le relai
Développer de nouveaux matériaux moléculaires magnétiques commutables implique la collaboration de chimistes, physico-chimistes, physiciens et spécialistes des grands instruments français. Ces communautés, rassemblées depuis plus de 20 ans au sein de quatre Groupements de recherche* successifs financés par le CNRS, ont finalement créé en 2020 l’Association française de magnétisme moléculaire (AM²). Guillaume Chastanet** et Boris Le Guennic**, cofondateurs de l’association, souhaitent renouveler son conseil d’administration. Ils nous expliquent le rôle de cette structure.
D’un Groupement de recherche à l’Association française de magnétisme moléculaire : comment se sont rassemblés les scientifiques français qui portent cette discipline ?
Guillaume Chastanet : Depuis les années 70, la France fait preuve de dynamisme et d’innovation dans les domaines du magnétisme et de la commutation moléculaires***, avec des précurseurs comme Olivier Kahn et Michel Verdaguer du Laboratoire de chimie inorganique d’Orsay (qui deviendra l’Institut de chimie moléculaire et des matériaux d’Orsay en 1980). Depuis, ce rayonnement et cette visibilité se sont maintenus à un haut niveau international avec une vingtaine de groupes actifs sur l’ensemble du territoire. Les activités de recherche se sont diversifiées au fil du temps, amenant la nécessité de fédérer cette communauté grandissante. En 2002, le premier Groupement de recherche - GDR (GdR COMES[1]) a été créé par François Varret, rassemblant des chimistes et physiciens autour de la commutation moléculaire. Depuis, 3 GDR se sont succédé (GdR MCM-1[2] en 2007 et MCM-2[3] en 2012 renouvelé en 2016[4]), élargissant leur contour à tous les aspects du magnétisme moléculaire et thématiques connexes. Ce qui nous amène à l’heure actuelle à une communauté composée d’environ 75% de chimistes et 25% de physiciens couvrant aussi bien les fondamentaux de la thématique d’un point de vue expérimental et théorique, que le développement d’applications. Nous sommes le seul pays à avoir fédéré notre communauté du magnétisme moléculaire, ce qui nous permet de développer notre visibilité sur la scène européenne et internationale.
Boris Le Guennic : Après 20 ans de GdR, il nous paraissait primordial de pérenniser la structuration de cette communauté. S’est évidemment posée la question de la forme que devait prendre cette nouvelle structure : un nouveau GdR aux contours élargis, une entité rattachée à une société savante ou une structure indépendante ? Les discussions au sein de la communauté et avec nos tutelles (CNRS Chimie et CNRS Physique) nous ont amenés à choisir le format associatif. Fin 2020, nous avons créé l’Association française de magnétisme moléculaire, AM².
Qu’est-ce qui fait la force d’un GDR ? Et quels sont les points qui pourraient être améliorés ?
G.C. : Les GdR sont d’abord une formidable opportunité de réfléchir aux contours d’une communauté au-delà des périmètres des instituts. Ensuite, les GdR permettent la reconnaissance d’une communauté par le CNRS. En la soutenant financièrement sur plusieurs années, cela laisse le temps d’organiser des évènements structurants durant lesquels les échanges scientifiques et humains donnent lieu à l’émergence de nombreuses collaborations (projets ANR notamment) et à la constitution d’un réseau professionnel (notamment pour les étudiants et jeunes permanents). C’est dans cet esprit que nous avions organisé des journées communes avec les GdR MEETICC (2017) et PES (2019) afin de créer des ponts entre communautés et, pourquoi pas, de futurs GdR…
B.L.G. : Le premier GdR COMES en est un parfait exemple avec l’apport des physiciens de l’optique ultra-rapide qui a accéléré la compréhension des phénomènes fondamentaux pour nourrir les réflexions et les collaborations et contribuer à l’essor de tous les acteurs. L’évolution récente de CNRS Chimie avec la nomination d’un délégué scientifique aux réseaux thématiques, Pascal Granger, permet aussi un meilleur affichage des GdR. L’élaboration d’un livret regroupant les GdR existants, d’une journée de rencontres des GdRs en chimie en octobre 2024, sont des évolutions extrêmement positives pour mettre en relation les communautés. Etre structuré en GdR permet également d’être consulté dans le cadre de réflexions menées par les tutelles. L’écriture du dernier rapport de prospectives sur les matériaux en est un exemple.
G.C. : La principale difficulté de cet outil des GdR est que sa durée contractuelle est limitée à 5 ans Il faut donc continuellement repenser les contours et activités du projet pour que celui-ci perdure. Cela peut entraîner des rapprochements parfois artificiels entre communautés. Le renouvellement du GdR MCM-2 était dans cet esprit, avec des ouvertures vers les photocommutateurs organiques, les matériaux hybrides et l’électronique moléculaire. Malheureusement, peu de liens ont été tissés au cours de ces années ce qui nous a amené à vouloir nous recentrer sur notre cœur d’activité. Les discussions en ce sens avec CNRS Chimie et CNRS Physique nous ont montré que le format GdR n’était plus approprié dans notre cas.
L’après GDR : pourquoi une association et quel avenir ?
G.C. : La création d’une association nous semblait le meilleur outil pour faire perdurer la dynamique de notre communauté. De plus, cela nous offrait une grande liberté de gestion et d’actions.
B.L.G. : Il est évident que la perte du soutien financier contractuel du CNRS nous a amené à repenser notre modèle économique. La cotisation à l’association est devenue un élément central qui renforce le sentiment d’adhésion à la communauté et à ses actions. Actuellement, l’association compte une centaine d’adhérents. Ce changement de modèle ne nous a pas empêchés de continuer nos actions engagées durant le dernier GdR envers les jeunes chercheurs via le financement de bourses de mobilité et de prix de thèse.
G.C. : Nous avons également été amenés à nous ouvrir aux partenaires industriels. Nous avons ainsi obtenu récemment le soutien financier annuel de Quantum Design et d’autres partenariats sont à l’étude. Le CNRS reste cependant présent en nous soutenant au travers de l’organisation d’une première école thématique en juin 2024 à Fréjus. Tout ceci nous permet de maintenir l’organisation de nos workshops et de nos journées annuelles durant lesquelles la part belle est faite aux présentations des doctorants et post-doctorants.
B.L.G. : Après 4 ans d’existence, la vie de l’association va être rythmée par le renouvellement de son conseil d’administration qui permettra d’insuffler une nouvelle dynamique avec l’implication de nouveaux acteurs. Pour nous, une page se tourne. Après 10 années d’animation dans le cadre du GdR puis de l’association, nous passons le relai tout en restant acteurs de cette communauté.
* Un Groupement de recherche (GDR) est une structure du CNRS dans laquelle différentes communautés scientifiques partagent leurs connaissances et unissent leurs forces pour faire prospérer un domaine scientifique bien défini. L’interdisciplinarité et les approches multi-échelles qui en découlent font l’originalité et la force de ces réseaux pour définir de nouvelles orientations scientifiques, décliner de nouveaux choix stratégiques voire, à l’extrême, transformer de nouvelles connaissances théoriques ou pratiques en un champ scientifique à part entière.
** Guillaume Chastanet, directeur de recherche à l’Institut de chimie de la matière condensée de Bordeaux et Boris Le Guennic, directeur de recherche à l’Institut des sciences chimiques de Rennes.
*** Une molécule commutable existe sous deux états parfaitement définis aux propriétés différentes. La commutation, c’est-à-dire le passage d’un état à l’autre, peut être déclenchée par différents stimuli (signal électrique, modification de la température ou de la lumière, application d’un champ magnétique…). La chimie moléculaire permet d’ajuster cette commutation à souhait, notamment en phase solide. Ces matériaux intelligents « on » « off »sont, entre autres, de bons candidats pour la microélectronique de demain.
Rédacteur : CCdM
[1] Commutation Moléculaire à l’Etat Solide, coordinateur F. Varret 2002-2005
[2] Magnétisme et Commutation Moléculaires, coordinateur A. Bousseksou, 2007-2010
[3] Magnétisme et Commutation Moléculaires 2, coordinateur J.-F. Létard, 2012-2015
[4] Magnétisme et Commutation Moléculaires 2, coordinateurs G. Chastanet, B. Le Guennic, S. Pillet, 2016-2020
Pour en savoir plus
Site web de l'Association française de Magnétisme Moléculaire : https://asso-am2.fr