La microfluidique pour neutraliser les agents de guerre chimique

Résultats scientifiques

La neutralisation des agents de guerre chimique (CWA) est une question de la plus haute importance en raison des stocks restants des conflits passés ou de leur utilisation lors des récents événements dramatiques. Parmi ces CWA, les « gaz moutardes » au soufre et les agents neurotoxiques organophosphorés de la série V sont particulièrement persistants dans l'environnement. A l’aide d’un système de microfluidique en flux continu, une équipe franco-belge a relevé le défi de leur neutralisation efficace et parfaitement contrôlée à l’aide d’un oxydant solide classique, l’oxone. Ces résultats, à retrouver dans la revue Green Chemistry, apportent une solution très prometteuse pour l’environnement et les populations de nombreuses zones géographiques.

Les agents de guerre chimique sont des produits hautement toxiques dont la persistance dans l’environnement constitue une menace réelle pour de nombreuses populations. Enfouis sous les mers dans des obus du passé, ils y restent des décennies pour progressivement s’échapper suite à la corrosion du métal qui les contient. Leur neutralisation naturelle par hydrolyse étant très lente et pratiquement inexistante, des traitements par oxydation des fonctions soufrées sont envisageables pour détoxifier ces composés. C’est une tâche très compliquée pour les chimistes car faire réagir ces produits très réactifs engendre souvent des produits secondaires de réaction tout aussi dangereux. Par exemple, le « gaz moutarde », pour être détoxifié, ne doit recevoir qu’un seul atome d’oxygène par atome de soufre, et pas un de plus sinon la réaction conduit à la formation de nouvelles molécules tout aussi toxiques. Concrètement, cela veut dire qu’un système de réaction hautement contrôlé et précis doit être mis en place. Là où un réacteur classique à agitation mécanique serait bien trop risqué, la microfluidique apporte la solution miracle. C’est ce qu’a récemment démontré une équipe de chimistes du laboratoire de Chimie organique, bioorganique : réactivité et analyse (CNRS/INSA Rouen Normandie/ Université de Rouen Normandie), en collaboration avec un chercheur de l’Université de Liège en Belgique.

Le réacteur utilisé est un simple tube dans lequel entre l’agent chimique à neutraliser. Le réactif s’écoulant dans un microcanal d’un diamètre millimétrique, le flux est lent et laminaire et avance dans un seul sens, sans aucun risque de turbulence et de va et vient catastrophique pour le contrôle de l’oxydation. Dans le réacteur tubulaire, l’agent chimique rencontre l’oxone, un agent d’oxydation commercial, et le temps de réaction et donc le degré d’oxydation sont directement contrôlés par le débit de pompage et le volume du réacteur. C’est ce contrôle spatio-temporel, rendu possible grâce à la micro-fluidique, qui permet de traiter de façon sûre, et à la seconde près, des quantités illimitées d’agents chimiques dangereux. Ces résultats très prometteurs, publiés dans la revue Green Chemistry, offrent une lueur d’espoir contre la menace que représente ces agents toxiques. D’autres applications tout aussi inattendues et utiles de la microfluidique sont à retrouver avec celle présentée ici dans le livre Etonnante Chimie à paraitre chez CNRS Edition.

Dispositif fluidique de neutralisation d’agents chimiques de guerre. © Elisabeth Scherrer

Référence

Flow neutralisation of sulfur-containing chemical warfare agents with Oxone: packed-bed vs. aqueous solution Antonin Delaune, Sergui Mansour, Baptiste Picard, Philippe Carrasqueira, Isabelle Chataigner, Ludovic Jean, Pierre-Yves Renard, Jean-Christophe M. Monbaliu et Julien Legros, Green Chemistry, 19 mars 2021.

 

DOI:10.1039/D1GC00449B

Contact

Julien Legros
Chercheur, laboratoire COBRA (CNRS/INSA Rouen/Université de Rouen Normandie)
Christophe Cartier dit Moulin
Chercheur à l'Institut parisien de chimie moléculaire & Chargé de mission pour la communication scientifique de l'INC
Anne-Valérie Ruzette
Chargée scientifique pour la communication - Institut de chimie du CNRS
Stéphanie Younès
Responsable Communication - Institut de chimie du CNRS