Julia Chamot-Rooke, la chimiste qui fait parler les protéines
Spécialiste de la spectrométrie de masse, Julia Chamot-Rooke explore les frontières de la chimie analytique et de la biotechnologie. Avec son équipe de l’Unité de Service et de Recherche mixte Institut Pasteur/CNRS, elle invente des méthodes originales pour analyser la structure de protéines impliquées dans des maladies infectieuses, comme le VIH, la grippe, la dengue…
Des études sur un mode enjoué…
Même par téléphone, l’énergie de Julia Chamot-Rooke est communicative. A l’autre bout du fil, la chercheuse vibre, elle sourit c’est sûr, lorsqu’elle replonge dans ses années lycée. Elle se souvient : « la physique m’attirait beaucoup, mais me semblait complexe. La chimie me semblait plus facile. Ecrire des molécules, c’était amusant ». C’est décidé, pour ses études supérieures, son choix se porte sur la chimie ! Après un parcours qu’elle juge « classique » à l’Université Pierre et Marie Curie, Julia se spécialise pendant son doctorat dans la spectrométrie de masse, cette technique très puissante et très sensible d’analyse des composés organiques. Là encore, Julia s’amuse : elle monte, démonte, remonte, nettoie les appareillages de pointe mais « pas encore trop automatisées ».
Une accélération, à l’interface chimie-biologie
Après Amsterdam et Copenhague en post-doc, c’est l’année de LA révélation ! Embarquée dans une équipe de recherche à Saclay, elle analyse les toxines de venin de serpent. Avec son œil de chimiste, elle découvre les protéines, les molécules de la chimie qui touchent au vivant. Sur un ton amusé, elle décrit ses premiers pas auprès des microbiologistes et immunologistes : « J’ai dû apprendre un nouveau langage, me mettre à la page des fondamentaux de la biologie ».
Mais son background théorique est une force : à l’interface de la chimie et de la biologie, elle développe des approches qui sortent des sentiers battus. Avec Julia Chamot-Rooke, la chimie analytique, considérée trop souvent comme un outil plus qu’une discipline à part entière sait se rendre indispensable. Elle développe des méthodes originales pour analyser des protéines en les gardant intactes, alors que les méthodes plus classiques impliquant leur digestion enzymatique entraînent la perte d’informations sur leur structure.
Success story
En 2011, son opiniâtreté la conduit à publier en tant que première auteure dans la revue Science. Collaborant avec un microbiologiste pour l’analyse de protéines, elle remarque sur le spectre de masse, à côté du signal sur lequel se focalisait l’étude, un autre petit pic, qui revenait tout le temps. « Ce pic ? On a gratté, on a gratté, pour finalement comprendre que la protéine étudiée avait subi une modification inattendue, révélant une modification majeure pour la pathogénicité de la bactérie». Dans cette aventure, Julia avoue ne pas avoir lâché l’affaire. Sa pugnacité a payé. Et pourtant, non sans humour, elle conseille aux jeunes chercheuses de parfois apprendre à s’économiser et à cultiver leur part de naïveté et faire fi des arguments qui pourraient les empêcher de tenter l’expérience.
Aujourd’hui à la tête d’une Unité de Service et de Recherche mixte entre le CNRS et l’Institut Pasteur, Julia est toujours fascinée par la microbiologie, elle s’extasie devant l’ingéniosité des bactéries qui détournent un système immunitaire. Chaque nouveau projet ? Julia l’aborde avec son équipe comme une nouvelle enquête à résoudre. « C’est impossible de se lasser, à chaque nouvelle collaboration, une nouvelle pelote est à démêler. Systématiquement, on parvient à des résultats qu’on n’aurait jamais imaginés ! »
Cécile Dupuch-Sicaud
Julia Chamot-Rooke en quelques dates
1996 : Doctorat à l’Université Pierre et Marie Curie – Paris 6
1997 : Post-doc CEA
1998 : Entre au CNRS, au laboratoire de Henri Audier à l’Ecole Polytechnique, pionnier de la spectrométrie de masse
2012 : Prend la tête de l’unité de spectrométrie de masse pour la biologie, à l’Institut Pasteur