Hommage à Pierre Duhamel (1931-2024)
C’est avec une grande tristesse que nous avons appris la disparition de Pierre Duhamel le 10 novembre dernier. Professeur à l’université de Rouen Normandie, il a grandement contribué au rayonnement de la chimie organique française.
Pierre Duhamel, né en 1931, soutient sa thèse en 1961 sous la direction du Professeur Albert Kirrmann au sein du Laboratoire de chimie de l’École Normale Supérieure à Paris. Il y rencontre sa future épouse, Lucette Duhamel (née Chaidron), qui sera recrutée en tant qu’attachée de recherche au CNRS.
Les deux scientifiques rejoignent, en 1964, la Faculté des Sciences de l’université de Rouen, en passe d’être créée par scission d’avec l’université de Caen. Dès leur arrivée, tous deux fondent le Laboratoire des Fonctions Azotées et Oxygénées Complexes (LFAOC), devenu depuis l’unité Chimie organique et bioorganique : réactivité et analyse (COBRA – CNRS/Université de Rouen/INSA de Rouen).
Grâce à leurs travaux prolifiques et importants (conception de la déracémisation, depuis reconnue comme une voie originale d’accès aux composés optiquement actifs ; développement de nouveaux réactifs polyéthyléniques, permettant la synthèse rapide du rétinal, une des formes de la vitamine A ; amélioration du rendement des réactions d’annélation, rendant possible la synthèse industrielle de composés utilisés dans les biotechnologies…), le laboratoire devient rapidement une référence en chimie organique, à la fois en France et à l’étranger. Le Japonais Ryoji Noyori, Prix Nobel de chimie 2001, s’y rendait ainsi à chacun de ses déplacements dans l’Hexagone. Le Britannique Sir Derek Barton, Prix Nobel de chimie 1969, ou le Belgo-Américain Gilbert Stork, Prix Wolf 1995, faisaient également partie des visiteurs très réguliers de Pierre et Lucette Duhamel.
La dimension internationale de leurs activités les a d’ailleurs conduits à créer, en collaboration étroite avec le Pr. Stuart Warren (Cambridge), l’Anglo-Norman Organic Chemistry Colloquium (ANORCQ) en 1991. Ce réseau associant les équipes de chimie organique d’universités anglaises et normandes a permis de développer de nombreux projets de recherche en commun ainsi que des échanges d’étudiants. Au-delà de ces collaborations outre-Manche, Pierre Duhamel a également multiplié les interactions avec des équipes à travers le monde, en particulier aux États-Unis (universités de Washington, Missouri, Columbia, Princeton), en Belgique (universités de Gand, Louvain, Namur) ou en Allemagne (universités de Hanovre, Hambourg). Ses résultats scientifiques lui ont également permis de tisser des liens intenses avec des sociétés industrielles, en particulier le groupe Rhône-Poulenc autour de la synthèse de la vitamine A, mais aussi le créateur suisse de parfums et arômes Firmenich ou les laboratoires pharmaceutiques Bioprojet et Oril Industrie.
Aux côtés de son épouse, Pierre Duhamel a contribué à la structuration de l’enseignement et de la recherche en chimie organique. Côté pile, une carrière de chercheur fructueuse, avec plus de 200 publications et près de 40 brevets au sein de l’URA 464 qu’il fonde en 1982, devenu ensuite l’Institut de recherche en chimie organique fine (IRCOF) en 1997, et qui regroupe 180 chercheurs de l’université et de l’INSA de Rouen. Ces accomplissements lui valent de nombreuses distinctions, en particulier le Grand Prix Le Bel de la Société chimique de France en 1989 et le Prix Grammaticakis-Neumann de l’Académie des Sciences en 1993.
Côté face, un parcours d’enseignant passionné, très apprécié de ses étudiants, dont près de 70 doctorants qui ont travaillé sous sa direction. Rédacteur de plusieurs manuels de référence en chimie organique, il a aussi participé activement à la création de l’École Doctorale Normande Chimie-Biologie, accréditée en 1992 et regroupant cinq établissements de la région (universités de Caen, Rouen, Le Havre ; INSA de Rouen Normandie ; ENSICAEN). Dans son souci d’ouvrir les étudiants à l’international, il a initié, en troisième cycle, plusieurs cours dispensés en anglais par des enseignants étrangers.
Malgré son dynamisme, son courage et ses contributions précieuses, Pierre Duhamel ne s’est jamais départi d’une discrétion et d’une bienveillance reconnues par tous. Convaincu que l’intelligence humaine et le travail pouvaient surmonter toutes les difficultés, il laisse une empreinte indélébile dans la communauté des chimistes organiciens français. Alors qu’il a rejoint son épouse, disparue en 2020, nos pensées accompagnent sa famille et ses proches. Il restera pour toujours dans nos mémoires.
Rédacteur : CD