Florence Mahuteau-Betzer, l’archiviste moléculaire
Avec plus de 55 000 molécules dans ses collections, la Chimiothèque nationale permet à de nombreux chercheurs de sélectionner les meilleures candidates pour leurs travaux à l’interface chimie-biologie. Sa directrice, Florence Mahuteau-Betzer du CMB2 (CNRS/Institut Curie/INSERM/Université Paris-Saclay), facilite ces recherches et valorise ce riche patrimoine scientifique. Tout cela en menant tambour battant ses propres travaux en chimie biologique et sa vie de famille.
Lorsque des chercheurs ont besoin d’une molécule « sur mesure » pour viser une action bien spécifique, ils ne partent pas systématiquement de zéro : de vastes collections de composés chimiques sont en effet à leur disposition. Parmi elles, la Chimiothèque nationale est pilotée par Florence Mahuteau-Betzer, directrice de recherche au CNRS et directrice adjointe du laboratoire Chimie, modélisation biophysique et biochimie (CMB2, CNRS/Institut Curie/INSERM/Université Paris-Saclay).
Après une thèse en chimie organique en Belgique et un postdoctorat en France, Florence Mahuteau-Betzer intègre l’Institut Curie en 2004. Elle partage son activité entre la chimie médicinale et la « chemical biology ». Ses travaux ont contribué à la création de la start-up Abivax en 2009. Celle-ci développe en particulier ABX464, un puissant anti-inflammatoire en phase de tests précliniques pour le traitement de la rectocolite hémorragique, pour lesquels certains patients sont en impasse thérapeutique. Ce lien entre travaux académiques et start-up motive la scientifique au goût prononcé pour le collectif.
« J’aime le travail d’équipe et l’approche pluridisciplinaire que l’on retrouve à l’interface de la chimie, de la biologie et de la médecine, c’est ce qui me motive, s’enthousiasme Florence Mahuteau-Betzer. Devoir discuter avec des gens de différents domaines nous sort de notre zone de confort et procure une grande satisfaction quand les projets aboutissent. »
Un état d’esprit essentiel pour l’autre partie du travail de Florence Mahuteau-Betzer : la gestion des chimiothèques. D’abord en charge de celle de l’Institut Curie, la chercheuse a acquis une telle expérience qu’elle dirige à présent la Chimiothèque nationale qui « couve » 55 000 molécules de synthèse disponibles pour le criblage, dont certaines ont déjà montré des activités biologiques sur le petit animal et/ou ont conduit à des créations de start-up. Ces vastes bases de données renferment d’impressionnantes quantités de composés, stockés au froid en solutions prêtes au criblage ou sous forme de poudres ou d’huiles. « C’est le patrimoine des laboratoires français, insiste la chimiste, toutes ces molécules ont été financées par la recherche académique. »
Déterminée, Florence Mahuteau-Betzer veut en particulier faciliter les procédés d’identification des meilleurs candidats, on parle de criblage, pour des médicaments ou des sondes. En 2018, la Chimiothèque nationale a ainsi été intégrée à ChemBioFrance, qui comporte aussi un réseau de plateformes de criblage, un réseau de chémo-informatique et un réseau de plateformes d’évaluation des propriétés pharmacocinétiques des molécules candidates. Cette infrastructure est gérée par l’Institut national de chimie du CNRS (INC). « ChemBioFrance regroupe un large panel d’expertise pour accompagner les chercheurs en quête de la bonne molécule, se réjouit Florence Mahuteau-Betzer. La chémo-informatique nous aide par exemple à mieux prévoir les propriétés des composés et à proposer des sous-chimiothèques intelligentes de composés à tester. »
Loin d’être effrayée par ses multiples responsabilités, Florence Mahuteau-Betzer encourage les femmes à ne pas se laisser impressionner. « J’ai été membre du comité national et ai participé au recrutement et aux campagnes de promotion pour les chercheurs CNRS, où j’ai pu constater une forme d’autocensure et un manque d’assurance chez les candidates, remarque Florence Mahuteau-Betzer. Le challenge des débuts de carrière peut inquiéter certaines femmes. Quand je discute avec des étudiantes, elles sont souvent surprises lorsque je leur explique que j’ai eu un premier enfant en fin de thèse, puis un second pendant mon postdoc. Il faut un brin d’insouciance et vivre sa vie de femme, ce n’est absolument pas incompatible avec la recherche. »
Martin Koppe