Exploiter le potentiel des bactéries pour construire des cellules artificielles fonctionnelles
Dans le but de créer des cellules artificielles, des chercheurs viennent de mettre au point une approche novatrice qui utilise le matériel cellulaire de bactéries organisé et encapsulé dans des microgouttelettes. Cette recherche pionnière parue dans la revue Nature rapproche les scientifiques de la création de « protocellules » dotées de fonctionnalités réalistes et aux nombreuses applications thérapeutiques et en biotechnologies.
Les cellules, briques fondamentales qui composent les organismes vivants, sont largement étudiées depuis plusieurs décennies. Pourtant, on ne sait toujours pas exactement comment elles sont apparues ni ce que font toutes les molécules qui les composent. Dans l’espoir de percer ce mystère et de développer de nouvelles biotechnologies, des chercheurs à travers le monde tentent depuis plus de 20 ans de créer des cellules artificielles de manière à reproduire les différentes fonctions de la vie. Une équipe de l’Université de Bristol, en collaboration avec un chimiste du Centre de recherche Paul Pascal (CNRS/Université de Bordeaux), vient de franchir une étape importante en exploitant le potentiel des bactéries pour construire des cellules synthétiques avancées qui imitent plusieurs fonctions du vivant.
Pour construire ces « protocellules » très complexes, les scientifiques ont eu l’idée d’utiliser des microgouttelettes visqueuses de polymères remplies de bactéries vivantes qu’ils ont ensuite détruites de manière à libérer leurs composants cellulaires (ADN, protéines, lipides…) à l'intérieur et à la surface des gouttelettes. Ces dernières acquièrent ainsi des propriétés nouvelles empruntées aux bactéries originelles. Les chercheurs ont notamment découvert que les protocellules ainsi assemblées sont capables de synthétiser des molécules riches en énergie (ATP) par glycolyse, mais ausside l'ARN et des protéines par expression génique in vitro, indiquant que les composants bactériens libérés restent actifs dans les cellules synthétiques. L'équipe est ensuite parvenue à remodeler structurellement et morphologiquement les protocellules en condensant l’ADN bactérien en une structure semblable à un noyau cellulaire, en intégrant des vacuoles et en induisant la formation d’un cytosquelette protéique. Ils ont ensuite réimplanté des bactéries vivantes dans ces protocellules pour obtenir une production d'ATP autosuffisante et une dynamisation à long terme de leur système. De façon surprenante, ces protocellules adoptent alors une morphologie semblable à celle de cellules eucaryotes primitives comme les amibes, sans doute en raison du métabolisme bactérien prolongé au sein des gouttelettes.
Cette approche d'assemblage de matériaux vivants, publiée dans la revue Nature, ouvre un nouveau champ de possibilités pour les biotechnologies et les domaines diagnostiques et thérapeutiques. Par exemple, ces protocellules pourraient être mises à profit pour synthétiser des médicaments ou venir remplacer des cellules défaillantes dans certains organes. Ces développements futurs nécessiteront une meilleure compréhension de l’interaction entre cellules artificielles et cellules vivantes.
Référence
Living material assembly of bacteriogenic protocells
Can Xu, Nicolas Martin, Mei Li et Stephen Mann, Nature 14 septembre 2022.
Living material assembly of bacteriogenic protocells | Nature