Des simulations améliorées par l'IA dévoilent les secrets des mouvements des protons dans l'eau
Une équipe franco-américaine a eu recours à l’intelligence artificielle pour percer un mystère qui intrigue les chercheurs depuis des décennies : comment les protons se déplacent-ils dans l’eau ? Ces résultats, publiés dans la revue Nature Chemistry, devraient permettre des avancées dans la compréhension de processus biologiques tels que la production d’énergie dans les cellules, ainsi que dans le développement de technologies telles que les piles à combustible qui convertissent l’énergie chimique en énergie électrique.
L’eau n’est pas seulement essentielle à la vie ; c’est aussi un conducteur d’électricité unique en raison de la façon dont les protons (des atomes d'hydrogène chargés positivement) se déplacent dans le liquide. Cependant, alors que les scientifiques savent depuis des années que les protons peuvent se déplacer très rapidement en « sautant » d’une molécule à une autre, ils ne comprenaient pas bien ce qui déclenchait ce mouvement rapide – jusqu’à présent.
Des scientifiques du laboratoire PASTEUR (CNRS/ENS PSL/Sorbonne Université) et de l’Université du Kansas (Etats-Unis) ont combiné des techniques d’intelligence artificielle de pointe avec des simulations moléculaires pour élucider comment est orchestré ce mouvement des protons. Ils ont découvert que le proton est généralement localisé sur une molécule d'eau sous la forme d'un ion hydronium (H₃O⁺), lié par liaisons hydrogène aux molécules d’eau voisines. Pour se déplacer, deux voies sont possibles : soit le proton reste attaché à la molécule d’eau qui se déplace, diffusant comme un ion hydronium, soit il passe d’une molécule d’eau à une autre. Imaginez un match de basket-ball. Parfois un joueur détient le ballon et dribble, et parfois il passe le ballon à un coéquipier. Les simulations ont permis d’identifier les conditions pour qu’une molécule d’eau transfère le proton à une autre molécule : pour faire une passe il faut d’abord trouver un coéquipier démarqué, puis le joueur et son coéquipier enchaînent des séries de passes, jusqu’à ce que l’un des deux soit de nouveau couvert par un défenseur. Dans l’eau, ce sont les liaisons hydrogènes qui jouent le rôle des défenseurs et ce sont donc elles qui donnent le tempo pour les déplacements du proton.
Ces découvertes permettent de mieux comprendre les flux de protons responsables de la production d’énergie dans nos cellules. Et elles pourraient également ouvrir la voie à de nouveaux moyens de contrôler le transport des protons, et ainsi d’améliorer des technologies telles que la photocatalyse et les piles à combustible, essentielles à la production d’énergie propre.
Rédacteur : CCdM
Référence
A. Gomez, W.H. Thompson & D. Laage
Neural-network-based molecular dynamics simulations reveal that proton transport in water is doubly gated by sequential hydrogen-bond exchange
Nature Chemistry 2024