Des chloroplastes biomimétiques pour capturer et convertir le CO2 à la lumière

Résultats scientifiques

Dans la nature, la photosynthèse a lieu dans des compartiments spécialisés, les chloroplastes des plantes. En utilisant la biologie de synthèse et la microfluidique, des scientifiques de la Société Max Planck et du Centre de recherche Paul-Pascal (CRPP – CNRS/université de Bordeaux) ont pu construire des systèmes de la taille d’une cellule, capables de photosynthèse à l’interface des mondes biologiques et artificiels. De belles perspectives pour capturer et convertir le CO2. Leurs résultats ont été publiés dans la revue Science.

Au cours de milliards d'années, les micro-organismes et les plantes ont élaboré le processus ingénieux qu’est la photosynthèse. Elle convertit l'énergie solaire en énergie chimique, permettant des synthèses de molécules complexes alimentant toute  vie sur Terre (ressources alimentaires et oxygène). Au cœur de ces micro-organismes et végétaux se trouvent les chloroplastes, ces machines moléculaires ou moteurs naturels probablement parmi les plus importants sur notre planète. De nombreux scientifiques envisagent de reconstruire et de contrôler artificiellement le processus de photosynthèse. Cela signifierait être en capacité de produire de l'énergie propre sous forme de biocarburant, ou des composés carbonés de plus haute valeur ajoutée, tels que des antibiotiques et autres produits, simplement à partir de la lumière et du CO2.


Mais comment construire une cellule photosynthétique vivante à partir d’éléments de synthèse ? Pour imiter les processus d'une cellule vivante, il est essentiel que ses composants (enzymes, organelles, …)  fonctionnent ensemble. Tobias Erb, directeur de l’Institut Max Planck de microbiologie terrestre et Jean-Christophe Baret, professeur à l’université de Bordeaux au Centre de recherche Paul-Pascal (CRPP – CNRS/université de Bordeaux) poursuivent cet objectif ambitieux dans le cadre d'une initiative internationale et interdisciplinaire, le réseau MaxSynBio. Ils ont créé, avec leurs équipes, une plateforme pour la construction automatisée de compartiments photosynthétiques actifs de la taille d'une cellule, les « chloroplastes artificiels », qui sont capables de capturer et de convertir le CO2 avec la lumière.

Les chercheurs ont ​​utilisé deux développements technologiques récents : la biologie de synthèse pour la conception et la construction de nouveaux systèmes biologiques, tels que les réseaux de réactions enzymatiques pour la capture et la conversion du CO2, et la microfluidique, une technologie permettant le contrôle de liquides (comme de l’eau et de l’huile) et l’assemblage de matériaux mous. Dans ce cas, ils fabriquent des gouttelettes de la taille d'une cellule et y encapsulent les réseaux de réactions enzymatiques.

Les scientifiques de l’Institut Max Planck ont isolé l'appareil photosynthétique des épinards et ont démontré qu'il était capable de fournir de l'énergie chimique qui pourrait être utilisée pour alimenter des réactions uniques et des réseaux de réaction plus complexes avec de la lumière. Mais ce n'était que la première étape vers la création d'un chloroplaste artificiel.

« Un objectif de longue date dans notre laboratoire est d'utiliser la biologie synthétique pour créer des solutions durables aux grands défis de notre temps, tels que le réchauffement climatique. Il y a quelques années, nous avions développé le cycle CETCH, un module métabolique de conversion du CO2 que nous avons construit à partir de 18 enzymes individuelles et qui est plus efficace que le métabolisme du carbone naturellement évolué par les plantes », explique Tobias Erb. « Avec le module énergétique à notre disposition, nous pourrions désormais combiner les deux processus essentiels de la photosynthèse en un seul système ». Après plusieurs cycles d'optimisation des deux modules, les auteurs ont enfin pu démontrer la capture du COpar leur système intégré.

Alors que l'équipe a réussi à prototyper leur photosynthèse artificielle dans le tube de réaction, il leur manquait encore une technologie pour miniaturiser et assembler leur système à l'échelle microscopique dans un compartiment contrôlé. C’est là qu’interviennent Jean-Christophe Baret et son équipe. L'automatisation est la clé de la production de masse. La nouvelle plateforme microfluidique a servi de petite usine pour créer des milliers de gouttelettes normalisées de type cellulaire, qui peuvent être remplies individuellement de contenu. « Nous pouvons construire des milliers de gouttelettes similaires ou équiper ces gouttelettes de propriétés spécifiques afin que leurs fonctions diffèrent les unes des autres. Nous pouvons les synchroniser dans leur activité ou programmer des comportements dynamiques distincts », explique Tarryn Miller ; l’étudiante en thèse sous la direction de Tobias Erb est venue faire ces manipulations au CRPP aux côtés de Thomas Beneyton, ingénieur de recherche au laboratoire. « Cela nous permet de créer des microréacteurs autonomes que nous pouvons contrôler dans le temps et l'espace par la lumière. »

Le chloroplaste artificiel comporte plusieurs enzymes et réactions nouvelles, ce qui lui permet de capter le CO2 plus de 100 fois plus rapidement que d'autres approches synthétiques. Il est notamment aussi plus économe en énergie que la photosynthèse naturelle. « Pour l’instant les produits de cette photosynthèse artificielle restent encapsulés dans les gouttes, le prochain défi est d’utiliser l’organisation spatiale des gouttes et de coupler ces systèmes pour en extraire les molécules d’intérêt. » précise Jean-Christophe Baret. À long terme, des systèmes plus complexes créés suivant ces concepts de biologie synthétique pourraient trouver des applications dans pratiquement tous les domaines technologiques, y compris la science des matériaux, la biotechnologie et la médecine.

Mime de chloroplaste obtenu par assemblage de systèmes naturels et synthétiques dans des gouttes de taille micrométriques (diamètre : environ 90 microns) © Max-Planck-Institute for terrestrial Microbiology / T.Erb

Référence :

Tarryn E. Miller, Thomas Beneyton, Thomas Schwander, Christoph Diehl, Mathias Girault, Richard McLean, Tanguy Chotel, Peter Claus, Niña Socorro Cortina, Jean-Christophe Baret, Tobias J. Erb - Light-powered CO2 fixation in a chloroplast mimic with natural and synthetic parts – Science, 2020.

DOI: 10.1126/science.aaz6802

Contact

Jean-Christophe Baret
CNRS-UMR5031, Centre de Recherche Paul Pascal
Claire Gouny
Communication CNRS délégation Aquitaine
Stéphanie Younès
Responsable Communication - Institut de chimie du CNRS